Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 71-74).

POOH HIÉRACOCÉPHALE.

(le dieu-lune à tête d’épervier.)
Planches 14 (F), 14 (F) bis

S’il arrive souvent que les descriptions, données par les auteurs grecs ou latins, des simulacres ou des statues des dieux adorés en Égypte, paraissent point s’accorder avec ce que nous montrent les monuments originaux placés sous nos yeux, plus souvent encore nous sommes forcés de reconnaître leur fidélité à cet égard et l’exactitude des renseignements sur la foi desquels ils écrivirent. Ainsi la description de l’image du dieu Cnouphis adoré dans l’île d’Éléphantine, est tellement circonstanciée dans Eusèbe[1], que les membres de la Commission d’Égypte, visitant les ruines d’un des temples de cette île, reconnurent aussitôt la représentation du dieu parmi les sculptures de l’édifice du sud. C’est également dans le même Traité de ce savant Père de l’Église, que se trouve un document précieux, à l’aide duquel j’ai reconnu plusieurs nouvelles formes symboliques, ou conventionnelles, que les Égyptiens donnèrent aux images de leur dieu Pooh ou le Dieu-Lune.

Dans le troisième livre de sa Préparation évangélique, après avoir parlé de la statue de Cnouphis à Éléphantine, Eusèbe affirme que, dans la ville d’Apollonopolis, les Égyptiens adoraient principalement la Lune et qu’on l’y voyait représentée sous la forme d’un homme à tête d’épervier (Ἱερακοπρόσωπος ἄνθρωπος), un javelot à la main, et subjuguant un hippopotame, emblème de Typhon[2]. Il est évident qu’il est ici question de la grande cité d’Apollon, située dans la Thébaïde, au midi de Thèbes, et nommée Ⲁⲧⲃⲱ, Atvô par les Égyptiens, nom local dont les Arabes ont fait celui d’Idfou, Edfou ou Odfou que cette ville porte encore de nos jours. Il est en même temps évident que la scène décrite par Eusèbe, était le sujet d’un des bas-reliefs qui décoraient le grand temple d’Apollonopolis. Malheureusement ce tableau symbolique ne se retrouve point, à ma connaissance du moins, dans le petit nombre de sculptures copiées par les divers voyageurs, soit dans le grand temple d’Edfou, soit dans le Typhonium placé à une petite distance de ce magnifique édifice.

Mais un bas-relief dessiné par la Commission d’Égypte à Edfou même et sur le mur extérieur du grand temple[3], nous offre l’image du Dieu-Lune telle qu’Eusèbe la décrit, avec cette seule différence, que le dieu, au lieu d’être figuré poursuivant l’animal emblème du mauvais génie, est ici assis sur son trône et recevant les hommages de l’un des souverains de l’Égypte. Ce roi est un des princes les plus connus de la famille des Lagides, Ptolémée Évergète II, ainsi que nous l’apprend sa légende royale renfermée dans deux cartouches : le seigneur du monde, le dieu Évergète, approuvé de Phtha, image vivante d’Amon-ra, le fils du Soleil Ptolémée toujours-vivant chéri de Phtha, dieu grand. Évergète II porte, au-dessus de sa coiffure ordinaire, le pschent, symbole de la domination sur les régions d’en-haut et les régions d’en-bas ; derrière ce roi est cette légende qui accompagne toujours les images des grands personnages représentés sur les monuments de l’Égypte, légende qu’on a cru devoir désigner sous le nom de légende sacerdotale, mais qui ne contient en réalité que des titres appartenant aux souverains à côté desquels elle est inscrite, et qui se réduit pour l’ordinaire aux idées suivantes : le vivant et bienfaisant dominateur de la région inférieure, comme le Soleil pour toujours.

La divinité adorée par le roi Lagide, est assise sur un trône placé sur un socle élevé. Sa tête est celle d’un épervier, ce qui a pu la faire prendre, à la première vue, pour une représentation de Phré ou le Soleil : mais le Disque ou Amphicyrte, placé sur la tête de l’oiseau, est très-clairement combiné avec la dychotomie, ou moitié du disque lunaire ; et nous avons vu que ces deux phases ainsi réunies étaient, en Égypte, l’emblème ordinaire de la Lune[4]. L’uræus au milieu du disque entier, est le symbole de la toute puissance inhérente à ce personnage, l’un des premiers et des plus anciens dieux de l’Égypte. Il faut donc reconnaître ici une nouvelle forme propre au Lunus égyptien, appelé indifféremment Ioh, Ooh et Ooh-ensou.

La légende hiéroglyphique sculptée à côté de ce personnage divin, ne laisse d’ailleurs aucune sorte de doute à cet égard, quoique très-incorrectement copiée par la Commission d’Égypte, ce qui provient sans doute du mauvais état du bas-relief ; les sept premiers signes sont très-reconnaissables et signifient clairement : ceci est l’image d’Ooh-ensou dieu : la gravure publiée dans la Description de l’Égypte, met un scorpion à la place de la tige de plante à quatre feuilles, qui termine ordinairement ce nom du Dieu-Lune[5]. Le dernier signe de ce nom divin, le signe déterminatif d’espèce, est ici l’image même du dieu, tracée de petite proportion avec ses principaux attributs, comme cela arrive sur les grands monuments à la suite des noms propres phonétiques des divinités égyptiennes[6].

Le roi Ptolémée Évergète II est représenté, dans ce même bas-relief, en acte d’offrir un sacrifice au Dieu-Lune ; et l’animal qu’il égorge sur l’autel, est le chamois du désert, appelé Oryx (Ὄρυξ) par les Grecs. Aucune offrande ne pouvait être plus agréable au dieu, dans les idées égyptiennes du moins, que celle du sang de cet animal particulièrement consacré à Typhon, le symbole spécial de l’impureté et l’ennemi déclaré de la Lune : car, disait-on, aussitôt que cet astre va paraître sur l’horizon, l’oryx, tournant ses yeux du côté de cet être divin, jette des cris et le maudit à sa manière, au lieu de l’accueillir avec joie ; bientôt après il creuse la terre avec ses pattes antérieures, et cache ses yeux dans la poussière pour ne point voir le lever même de l’astre[7].


Notes
  1. Voyez l’explication de notre planche no 3.
  2. Τὸ δὲ δεύτερον φῶς τῆς Σελήνης, ἐν Ἀπόλλωνος Πόλει καθιέρωται· ἔστι δὲ τούτου σύμβολον ἱερακοπρόσωπος ἄνθρωπος, ζιβύνῃ χειρούμενος Τυφῶνα ἱπποποτάμῳ εἰκασμένον. Euseb. Præparat. Evangelic., lib. III, cap. XII.
  3. Descript. de l’Égypte, A., vol. I, pl. 59, no 5.
  4. Voyez l’explication de notre planche 14 (A), et la note 6.
  5. Voyez notre planche 14 (D), lég. no 1, et son explication.
  6. Précis du Système hiéroglyphique, chap. V, pag. 104 et 105.
  7. Ἀκαθαρσίαν δὲ γράφοντες, ὌΡΥΓΑ ζωγραφοῦσιν· ἐπειδὴ επ’ ἀνατολὴν ἐρχομένης τῆς ΣΕΛΗΝΗΣ, ἀτενίζων εἰς τὴν θεὸν, κραυγὴν ποιεῖται, οὐκ εὐλογῶν, οὐδὲ εὐφημῶν· σημεῖον δὲ τούτου ἐναργέστατον. Τοῖς γὰρ ἐμπροσθίοις ἀυτοῦ σκέλεσιν ἀνορύσσων τὴν γῆν, ζωγραφεῖ ἑαυτοῦ τὰς κόρας, ὡσπερεὶ ἀγανακτῶν καὶ μὴ βουλόμενος ἰδεῖν τὴν τῆς θεοῦ ἀνατολήν. Horapollon, Hieroglyph., livre I, § 49.

——— Planche 14 (F) ———

——— Planche 14 (F) bis ———