Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/Pantagruel/33

Pantagruel
Texte établi par Charles Marty-LaveauxAlphonse Lemerre (Tome Ip. 379-381).

Comment Pantagruel feut malade, & la façon comment il guérit.

Chapitre XXXIII.



Peu de temps apres le bon Pantagruel tumba malade, & fut tant prins de l’estomach qu’il ne povoit boire ny manger, & par ce qu’ung malheur ne vient iamais seul, il luy print une pisse chaulde, qui le tormenta plus que ne penseriez : mais ses medecins le secoururent tresbien & avecques force de drogues lenitives & diureticques le feirent pisser son malheur. Et son urine estoit si chaulde que despuis ce temps là elle n’est point encores refroidye. Et en avez en france en divers lieux selon qu’elle print son cours : & l’on l’appelle les bains chaulx, comme

à Coderetz,
à Limous,
à Dast,
à Balleruc,
à Neric,
à Bourbonensy, et ailleurs.
En Italie :
à Mons grot,
à Appone,
à Sancto Pedro dy Padua,
à Saincte Helene,
à Casa Nova,
à Sancto Bartholomeo.
En la comté de Bouloigne,
à la Porrette, et mille aultres lieux.

Et m’esbahys grandement d’ung tas de folz philosophes & medecins, qui perdent temps à disputer dont vient la chaleur de cesdictes eaux, ou si c’est à cause du Baurach, ou du Soulphre, ou l’Allun, ou du Salpestre qui est dedans la minere : car ilz n’y font que ravasser, & mieulx leur vauldroit se aller froter le cul au panicault, que de perdre ainsi le temps à disputer de ce dont ilz ne sçavent l’origine, que lesdicts bains sont chaulx par ce qu’ilz sont issuz par une chauldepisse du bon Pantagruel. Or pour vous dire comment il guerit de son mal principal ie laisse icy comment pour une minorative il print quatre quintaulx de Scammonée Colophaniacque, six vingtz & dix huyt chartées de Casse. Onze mille neuf cens livres de Reubarbe, sans les aultres barbouillemens.

Il vous fault entendre que par le conseil des medecins fut decreté qu’on osteroit ce que luy faisoit le mal à l’estomach. Et de faict l’on fist xvii. grosses pommes de cuyvre plus grosses que celle qui est à Romme à l’aiguille de Virgile, en telle façon qu’on les ouvroit par le meillieu & fermoit à ung ressort. En l’une entra ung de ses gens portant une lanterne & ung flambeau allumé. Et ainsi l’avalla Pantagruel comme une petite pillule.

En cinq aultres entrerent d’aultres gros varletz chascun portant ung pic à son col. En troys aultres entrerent troys paysans chascun ayant une pasle à son col.

En sept aultres entrerent sept porteurs de coustretz chascun ayant une corbeille à son col. Et ainsi furent auallées comme pillules. Quand furent en l’estomach, chascun desfit son ressort & sortirent de leurs cabanes, & premier celluy qui portoit la lanterne, & ainsi cheurent plus de demye lieue en vn goulphre horrible, puant, & infect plus que Mephitis, ny le palus Camarine, ny le punays lac de Sorbone, duquel escript Strabo. Et n’eust esté qu’ils estoient tresbien antidotez le cueur, l’estomach, & le pot au vin (lequel on nomme la caboche) ils feussent suffocquez & estainctz de ces vapeurs abhominables. Ô quel parfum, ô quel vaporament, pour embrener touretz de nez à ieunes gauloyses. Apres, en tactonnant & fleuretant aprocherent de la matiere fécales & des humeurs corrumpues. Finablement trouverent une montioye d’ordures : lors les pionniers fraperent sus pour les desrocher & les aultres avecques les pasles en emplirent les corbeilles : & quand tout fut bien nettoyé, chascun se retira en sa pomme. Et ce faict Pantagruel se parforce de rendre sa guorge, & facillement les mist dehors, & ne monstroient en sa guorge en plus qu’ung pet en la vostre, & là sortirent hors de leurs pillules ioyeusement. Il me souvenoit quand les Gregeoys sortirent du cheval en Troye. Et par ce moyen fut guery & reduyt à sa premiere convalescence.

Et de ces pillules d’arain en avez une en Orleans sus le clochier de l’esglise de saincte Croix.