Maradan (3p. 215-244).


CHAPITRE XXXVII.




Le mariage d’un des princes de la famille royale ayant ramené beaucoup de monde à Londres, les Sunderland, les Alvimar, d’autres familles distinguées, y revinrent aussi. Peu de jours après son retour, sir Abel, dînant chez l’ambassadeur de France, se trouva placé près de madame de Belmont ; il lui adressa quelques mots flatteurs. Je hais les galanteries dans votre bouche, lui répondit-elle avec une sorte d’humeur. Vous m’aviez fait rêver à la pure et douce amitié ; mais vous êtes inconstant dans tous vos sentimens.

Simplicia n’était pas présente ; ainsi Abel, ne craignant point de l’affliger, engagea sérieusement la conversation avec la comtesse, et chercha à détruire les opinions singulières qu’elle paraissait avoir sur son compte. Cette première, quittant bientôt l’air assez triste qu’elle avait pris d’abord, et développant toutes les graces d’un esprit fin et délicat, parut aussi aimable que jamais.

Elle et sir Abel se disaient des choses peut-être insignifiantes en apparence ; mais le ton, le regard qui les accompagnaient, semblaient leur donner un sens plus expressif.

Ce même jour, madame de Belmont était vêtue tout-à-fait à l’anglaise : on lui en fit des complimens. Je me plais, répondit-elle à milord Sandorf, placé à sa gauche, à adopter vos usages, s’il est possible, vos vertus. Je desire souvent d’être née Anglaise, je ne veux du moins dater mon existence que du moment où j’arrivai dans votre patrie. Le bon vieillard, célèbre dans le parti de l’opposition, se persuadant que c’était l’amour de la liberté régnant en Angleterre, qui l’enthousiasmait ainsi, s’empressa de lui dire avec transport : si j’en crois les progrès que fait tous les jours l’esprit de la philosophie ; si j’en crois sur-tout les sottises de ceux qui vous gouvernent, les Français deviendront libres aussi, et iront plus loin que nous.

Ces prophéties n’amusaient pas beaucoup une belle dame élevée au sein de la cour. Elle laissa donc tomber cette conversation, et adressa la parole à miladi Ranswill.

Abel se répétait depuis un quart-d’heure, elle aime, c’est bien certain, et il cherchait à deviner parmi ceux qui l’entouraient l’objet de ses tendres feux. Elle paraissait infiniment liée avec Cramfort, mais cet extravagant libertin ne peut inspirer un sentiment si romanesque et si tendre. Il considérait le beau Feenwik, dont les yeux languissans ne la quittaient pas d’un instant. Mais non, ce ne peut être lui, elle s’en moque impitoyablement. Linerson, cet insolent nabab parvenu, si fier qu’une femme de qualité daigne lui sourire, l’enveloppe de tous les parfums de l’Asie, la force d’en recevoir les riches et rares productions ; mais elle le méprise.

Enfin, voyant qu’il ne pouvait réussir dans sa recherche, et voulant absolument être éclairé, il dit tout bas à madame de Belmont : Est-il ici ? Madame de Belmont le comprend très-bien, et répond avec vivacité, non, non, sir Abel, gardez-vous de le croire. La manière dont elle s’en défendait n’était guère persuasive. Ah ! si Abel eût été Français… mais il était réellement modeste, et il ne sut rien interpréter.

D’après l’espèce de rapprochement qui venait de se faire entre lui et la comtesse, il se persuada ne pouvoir, sans manquer d’égards, se dispenser d’aller quelquefois chez elle ; et, afin d’éviter que quelques rapports ne parvinssent à Simplicia, il avait soin de s’y rendre à des heures où il y avait peu de monde. Dans ses premières visites, il fut reçu avec bonté et intérêt ; dans les suivantes, il crut remarquer beaucoup de froideur. À peine lui parlait-elle quand ils étaient seuls.

On peut supporter les caprices d’une maîtresse, d’une amie, se disait Abel, mais de madame de Belmont, d’une étrangère, n’est-ce pas l’assurance que je lui déplais mortellement ? Cessons donc d’y retourner, et que cette dernière volonté résiste au moment d’amabilité, d’épanchement que je lui ai vus quelquefois.

Cependant il passait quelquefois devant sa maison, s’y’arrêtait même involontairement, et bientôt passait outre. Un matin, qu’il se promenait à cheval du côté de Chelsea, déjà assez enfoncé dans la campagne, il entendit galoper derrière lui. En retournant la tête, il apperçoit la comtesse également à cheval, accompagnée d’un domestique. En passant près d’Abel elle lui fait un salut, et prend un sentier opposé à la route qu’il suivait. C’était assez témoigner le desir de rester seule ; aussi Abel poursuivait-il tranquillement son chemin lorsqu’on lui cria : Sir Alvimar, sir Alvimar ; et il voit le valet de madame de Belmont, qui accourt hors d’haleine, le conjurer de venir donner quelque secours à sa maîtresse évanouie, enfin dans un état affreux, venant d’être renversée de dessus son cheval. Il le prie de veiller sur elle, tandis qu’il va à Londres chercher un chirurgien et un carrosse, si on peut la transporter.

Abel se fait indiquer le lieu elle est : il y vole, et la voit effectivement étendue par terre, son front couvert de sang, et n’ayant près d’elle qu’une vieille femme qui faisait de vains efforts pour la soulever.

Abel, effrayé, ému, l’emporte dans ses bras à la petite maison, assez isolée, de la bonne veuve, qui la pose sur son lit, et donne du linge pour penser sa blessure. Abel, ne le trouvant pas assez fin, défait sa cravate de batiste, et en forme un appareil. Le sang ne coulait plus, mais l’évanouissement durait encore. Abel, assis à ses côtés, la soutenait, et en même temps lui faisait respirer des sels. Ce fut dans cette situation qu’elle revint à elle. Ouvrant les yeux, et reconnaissant Abel, elle s’écrie : C’est lui ! et laissant retomber sa tête, elle reparaît aussi inanimée qu’auparavant. Son exclamation fut un trait de lumière pour Abel : on a déjà dû remarquer que la pitié était un sentiment bien dangereux pour lui ; aussi était-il excessivement ému.

Quant à la veuve, épouvantée de voir encore la belle dame comme si elle était morte (pour me servir de ses expressions), elle proposa d’aller chercher un élixir précieux chez une amie, un peu éloignée à la vérité, mais qu’enfin elle se dépêcherait le plus vîte possible.

Ne vous fatiguez pas trop, ma chère madame, répondit Abel, et soyez assurée de mes soins pendant votre absence.

Le voilà donc seul avec une des plus séduisantes femmes de la terre.

Vingt fois il s’y était trouvé ; mais quelle différence ! il ne pouvait plus ignorer d’ailleurs à quel excès il occupait son imagination. La comtesse, en faisant un léger soupir, ne tarda pas à rouvrir une seconde fois les yeux, et à dire d’une voix égarée, mais extrêmement faible : Ah ! si je pouvais mourir là, pressée contre le cœur d’Abel ! ce serait bien plus doux que d’en vivre éloigné ! Non, non, pas éloigné, répète ce dernier.

Le délire de madame de Belmont allait toujours en croissant ; mais il était si tendre, si passionné, que le jeune Abel eût craint de la voir revenir à la raison. La sienne se perdait à chaque instant davantage. Ô bon génie de Simplicia ! pourquoi ne hâtez-vous pas le retour de la secourable veuve ?

Elle arriva cependant ; mais elle eut lieu d’être toute émerveillée que, sans son élixir, madame de Belmont fût aussi ranimée qu’elle le paraissait. Dans ce moment on entendit le bruit du carrosse qui venait la chercher ; elle n’eut que le temps de dire bien bas à Abel : Un délire involontaire vous a rendu maître de mon secret, de mon sort ; le hasard a détruit les résolutions de la prudence : est-ce un bonheur ou une fatalité ?

Ah ! ne parlons que de bonheur ! reprend Abel, j’en suis enivré. Le plus doux des regards l’assura qu’il était partagé. Alors entra le chirurgien, accompagnant les gens de la comtesse. Ce premier, brusque, vieux, nullement à la mode, ainsi n’exagérant pas les petits accidens, examina d’abord la blessure : ce n’est rien, dit-il, qu’une légère contusion qui sera effacée avant un mois. Abel en fut ravi ; il eût été si fâché que ce front charmant fût défiguré !

Le médecin tâte le pouls : presque pas d’émotion, annonce-t-il. Ici Abel s’étonna : le résultat en avait été délicieux ; mais il n’était donc pas naturel ce délire qui l’avoit entraîné, et cela le fit rêver un peu. Il est bien certain que la comtesse avait infiniment exagéré, se servant de cette circonstance pour avouer, sans trop se compromettre, un mystère qu’Abel aurait dû deviner cent fois, s’il avait été moins modeste, ou moins occupé de Simplicia.

Le médecin décida que sans le moindre risque, madame la comtesse pouvait retourner chez elle ; que pour lui, il restait à Chelsea, différens malades avaient véritablement besoin de ses soins. Il s’en alla après avoir reçu son salaire, beaucoup trop considérable, dit-il, pour si peu de chose.

Abel paya généreusement la vieille femme hospitalière, et monta en voiture avec madame de Belmont. Je suis effroyable, lui dit-elle, avec cette tête enveloppée et mon visage si pâle ; je ne veux pas être vue, baissons les stores. Ensuite, avec l’accent le plus séducteur, elle continua ainsi : Quelle matinée, mon cher Alvimar ! J’ai donc vainement voulu vous persuader que vous m’étiez indifférent. D’autres instans, consumée d’une brûlante passion, j’espérais qu’en vous inspirant une pure amitié je calmerais de si vifs tourmens, et je me livrais à plus d’épanchemens. Mais, hélas ! ils redoublèrent encore en vous voyant davantage, et j’aurais fini comme Werther. Je sentis donc la pénible nécessité de vous fuir… Je vous dépeins là les différentes anxiétés qui ont causé l’inégalité que vous avez pu remarquer en moi ; enfin nous nous sommes entendus, mon ami, et ma vie est sauvée.

Quelle ame ! pensa Abel, quelle profonde sensibilité sous des dehors si légers ! L’aimable et piquant contraste ! Sa tête était excessivement montée en ce moment : l’avenir prouvera si le cœur, qui avait aimé deux anges d’innocence, comme de beauté, devait se donner entièrement à l’imprudente comtesse de Belmont.

Il lui promit d’aller le soir, s’informer de ses nouvelles, et revint à la place de Portland. Il ne parut dans le salon de son père que lorsqu’on l’envoya chercher pour dîner. Déjà on s’entretenait de l’accident arrivé à la jolie française. La renommée avait même publié que sir Alvimar l’avait tirée d’un péril éminent : on l’en félicita. On exagère l’événement, répondit-il : d’ailleurs je n’étais pas aux côtés de madame de Belmont lorsqu’elle est tombée de cheval. Je n’ai fait qu’assister une obligeante veuve de Chelsea, qui l’a secourue la première. Un peu d’embarras n’échappa point à la malicieuse Mathilde. Que de remerciemens, lui dit-elle, vous devront lord Cramfort, M. Feenwick, l’ambassadeur de France… Et tous ceux enfin qui l’auront vue, répond sèchement Abel, mécontent de cette méchanceté, et invitant milord D… qui s’approchait, d’inspirer à sa femme un peu plus de réserve. Le ciel la préserve, ajouta-t-il, d’être jugée aussi sévèrement qu’elle se permet de juger les autres !

Mathilde fut doucement grondée par son époux. Voyez-vous, milord, dit-elle, c’est que j’ai la coquetterie en horreur. Son air était si original, en répondant cela, qu’elle le fit sourire ainsi que son accusateur. Celui-ci retourna le soir chez madame de Belmont. Lord Cramfort était près d’elle, et mit une sorte d’affectation à céder sa place à sir Alvimar, qui fut reçu par la comtesse aussi familièrement que si elle avait été seule. Abel, moins formé, était décontenancé, et ne témoigna guère qu’un profond respect. Enfin le cercle se dissipa, et le reste de la soirée fut aussi doux, aussi agréable, que l’avait été la matinée.

Il ne quitta madame de Belmont que vers minuit. En rentrant chez lui, il rencontra dans le vestibule lord Sunderland et ladi Simplicia qui avaient soupé avec sa sœur. Ah ! sir Abel, dit Simplicia avec une candeur parfaite, savez-vous comment va madame de Belmont ? Il crut que c’était un reproche indirect ; il répondit qu’il présumait qu’elle se ressentait peu de son accident. J’en suis charmée, reprend ladi Sunderland, et elle le salue aussi affectueusement qu’à l’ordinaire.

La voiture était déjà loin, Abel restait immobile. Charmante et bonne Simplicia, pensait-il, la tendre humanité ne laisse pas approcher la jalousie de ton cœur dans cette circonstance, et je pourrai finir par te troubler, t’affliger. Il sentit à quel excès il s’était rendu coupable. Toute la nuit, il se fortifia dans le projet d’avouer à la comtesse que sa situation lui commandait la plus grande réserve, que leur amitié était cimentée pour toujours, mais que la raison prescrivait de ne pas aller au-delà. C’était très-sagement conçu ; aussi la jolie Française n’était-elle pas là avec toutes ses séductions. Le lendemain il les retrouva, et n’eut pas le courage d’altérer cette joie passionnée que l’on manifesta en le voyant ; il en fut de même des jours suivans, qu’il passa presque entièrement dans le palais d’Armide

Cette intrigue commençait à faire du bruit ; d’officieux amis crurent devoir en avertir le duc de Sunderland, qui n’attacha pas beaucoup d’importance à une aventure de ce genre-là ; mais sa fille ne pensait pas de même : autant elle avait eu d’indulgence pour Abel adorant Palmira, autant elle le trouva criminel lorsqu’elle s’apperçut de ses nouveaux torts : elle confia ses chagrins à Mathilde, qui chercha à pallier la conduite de son frère. Ne me trompez pas, reprit Simplicia en pleurant, cela est bien inutile. Vous le voyez, je ne suis point nécessaire au bonheur de sir Abel, qui évitait sa sœur tant qu’il le pouvait. Il craignait des reproches trop mérités ; il sortait de fort bonne heure, rentrait excessivement tard, gémissait fréquemment de sa faiblesse, finit même par faire entendre à la comtesse, que des engagemens sacrés… Il ne put achever. Elle tomba dans un évanouissement profond ; et, revenue à elle, lui fit entrevoir un malheur terrible, si jamais il les lui rappelait.

Abel frémit alors de se voir ainsi enchaîné ; il redoutait la sévérité de milord D… dont les conseils, la fermeté, lui eussent été bien nécessaires. Se sentant plus de force contre les épigrammes de Mathilde, il se décida à l’aller trouver, et à lui tout confier. Elle le ménagea, ayant réellement pitié des combats qui l’agitaient ; mais, puisque vous aimez toujours Simplicia, lui dit-elle, pourquoi tant de trouble et d’inquiétude ; elle est triste, affligée, cependant je vous réponds encore de son cœur. — Me répondriez-vous de même de l’existence d’une femme charmante, qui me menace de cesser de vivre à l’instant où je l’abandonnerai ? — Méprisable créature ! — Ma sœur, ne l’outragez pas ; elle est faible, inconsidérée ; mais qu’elle est intéressante en me sacrifiant tout ! — Excepté lord Cramfort, l’ambassadeur de France, et… — Mathilde ! — Abel, voulez-vous un témoin irrécusable de ce que je viens d’avancer ? On la défia : elle courut ouvrir son secrétaire, y prit une lettre et la présenta à Abel, qui reconnut aussitôt l’écriture de la comtesse. Par quel moyen vous l’êtes-vous procurée ? demanda-t-il vivement avant de la lire.

Miladi D… le comprend et lui répond avec sang-froid, quel que soit mon desir de vous éclairer, je rejetterai des moyens que la délicatesse n’avouerait pas, dussent-ils seuls m’y faire parvenir. Abel baisa sa main et lut ce qui suit :

« Vous avez des momens bien inconcevables. Me faire une scène à moi qui vous vois avec tant de sérénité ! je ne sais quelle citadine, votre mélodieuse italienne, et même l’indolente Arabel, dernière infidélité, soit dit en passant, que je vous passe le moins… »

« Laissez encore à ma tête quelques jours d’illusion avec cet extraordinaire jeune homme, qui prend pour habitude de sacrifier la femme qu’il aime le plus à celle qu’il aime le moins ; puisque je ne puis me dissimuler que l’image de sa Simplicia ne soit au fond de son cœur ; et, cependant il m’a juré qu’il me suivra en France, où il faut décidément que je retourne. »

« Son excellence se fâche aussi vainement : je proteste que je ne reste que pour lui. Il n’en croit rien ; mais quinze jours encore, et je quitte votre Angleterre, qui me laissera de ravissans souvenirs. »

« Si vous étiez moins mauvais sujet, Charles, je n’aurais pas choisi d’autre héros de roman ; mais l’amour-propre devait se venger en vous imitant. Soyez sûr du moins que je vous préfère à tous. Mon Abel est charmant, encore quelqu’aventure, il vous égalera. N’importe, je commence à me fatiguer du rôle passionné qui peut seul le subjuguer. Je le répète, l’instant où je reçois le serment qu’il abandonne pour moi sa patrie, maîtresse, tout enfin, sera celui où je vous en ferai l’éclatant sacrifice. Es-tu content Coucy ? »

Abel était trop jeune, trop honnête pour rire de cette épître ; il en est indigné, et, affectant une tranquillité qu’il n’avait pas au fond, il demanda à miladi D… comment enfin cette lettre était tombée entre ses mains. — L’extravagante jalousie de la comtesse de Cramfort, lui faisant faire de fréquentes recherches dans les secrétaires, les écritoires de son mari, elle a découvert ce papier ; et, pour la première fois de sa vie, ayant un éclair de bon sens, elle a préféré à une scène de reproches, l’avantage d’être utile à ladi Simplicia, en me donnant le moyen de faire ouvrir les yeux à sir Abel.

Quelle corruption ! s’écria celui-ci, quel excès de perversité ! et j’ai pu ne voir en cette femme qu’un amour désordonné, il est vrai, mais si touchant, si exclusif ! Ô ma candide Simplicia ! serai-je encore digne de toi ? — Oui, oui, puisque vous n’êtes pas chagrin, mais seulement un peu honteux d’avoir été ainsi trompé. Encore quelques aventures, comme celle de la comtesse, et vous vous connaîtrez mieux en artifices. — Ne riez pas, Mathilde ; voici l’unique de ce genre, qui se trouvera dans l’histoire de ma jeunesse. — Que faire de cette infâme lettre ? — La rendre à miladi Arabel ; il est fort inutile que l’on sache que vous l’ayez lue.

Un profond mépris détruisit bien vîte l’espèce de charme qui attachait Abel à madame de Belmont. Il ne revint pas chez elle ; il en reçut des billets, et n’y répondit pas. Vainement, à une rencontre d’opéra, eut-elle des attaques de nerfs, des convulsions. Abel en sourit de pitié… On pense bien aussi que la discrétion d’Arabel ne se prolongea pas. Elle fit courir la lettre de sa rivale dans tous les cercles de Londres. La comtesse, d’après certains désagrémens qui lui arrivèrent, ne doutant plus que sa conduite ne fût divulguée, renonça à son enthousiasme pour l’Angleterre, et retourna en France.

Lord Cramfort, prétextant des affaires, partit pour Paris peu de jours après elle. Miladi Arabel gémit, s’emporta, et finit par se distraire dans le tourbillon où elle avait toujours vécu.

Simplicia, ayant remarqué avec un vif plaisir qu’Abel avait renoncé à madame de Belmont long-temps avant que son départ ne le lui commandât, sentit évanouir les terribles résolutions qu’elle avait formées. Elle lui pardonna encore une fois, et ce fut vraiment la dernière qu’Abel eut besoin d’indulgence.

Laissons maintenant ce couple charmant et heureux toucher à l’époque d’une union desirée, et revenons à l’abbaye de…, asile de la triste Palmira, ainsi qu’aux événemens qui se sont écoulés pour elle dans l’espace de huit à neuf mois.

Nous l’avions ramenée dans sa retraite avec le souvenir, plus insupportable que jamais, de sir Alvimar, le cœur déchiré d’une passion violente, l’esprit abattu par une vie monotone ; elle avait peine à comprendre qu’il existât une plus cruelle situation. Infortunée ! tu vas cependant l’éprouver.


Fin du tome troisième.