Maradan (4p. 20-25).


CHAPITRE XXXIX.




Le lendemain, de bon matin, on vint la chercher dans une berline à quatre chevaux, et elle arriva à l’hôtel de Saint-André, où on l’attendait pour le dîner. La maréchale la reçut avec autant de grace que d’affection, et la conduisit de suite à l’appartement qu’elle devait occuper en revenant à Paris. Palmira le trouva charmant. Son amie la pria d’examiner les meubles, afin de voir s’ils étaient en bon état. Machinalement, la première ouvrit un secrétaire, où elle apperçut une bourse considérable. Elle s’empresse de dire que sans doute la personne qui avait habité ce logement avant elle avait oublié cet argent.

Non, miss Delwine, non, lui répond madame de Saint-André ; je sais bien que ce n’est que par la suite que vous voudrez bien regarder ma fortune comme nous étant commune. D’ici à ce que j’aie mérité près de vous cette confiance et cette amitié, j’ai pensé que l’unique manière de vous être utile était celle de faire valoir vos talens. Je me suis donc emparée de vos dessins dispersés dans l’abbaye. Je les ai montrés hier à un habile artiste, qui a cru faire un excellent marché en les échangeant contre deux cent cinquante louis, et me suppliant de faire exercer la personne qui les avait composés.

Si ce récit n’était qu’une invention, elle était du moins si délicate, si naturelle, que Palmira fut obligée d’y croire, et elle eut un mouvement de joie bien vrai en faisant parvenir sur-le-champ la moitié de la somme à madame de Saint-Pollin.

Palmira, passant quelques heures avec sa noble amie, la trouva d’une rare amabilité. Un grand usage du monde n’altérait en rien sa franchise ; sage, indulgente, remplie d’esprit et d’agrémens, elle était également chérie et estimée, et son étonnante ressemblance avec ladi Élisa lui donnait un titre de plus sur le cœur de Palmira, qui s’y attachait chaque instant davantage.

Afin d’être plus libre de vaquer aux conférences que ses hommes d’affaires lui avaient demandées, madame de Saint-André eut la précaution d’annoncer son départ vingt-quatre heures plus tôt qu’il n’eut lieu effectivement ; et, après avoir signé les comptes de ses intendans, elle ne s’occupa plus que de Palmira, et de son médecin qu’elle garda à souper. C’était un homme à qui une habileté réelle, et non la mode, avait acquis une réputation méritée.

Madame de Saint-André s’étant absentée quelques minutes, Palmira demanda au docteur quel était le genre d’indisposition de la maréchale. Ma belle demoiselle, répondit-il, je donnerais la moitié de ma fortune pour le savoir positivement. Mes confrères prétendent qu’une simple particulière ne se croirait peut-être pas malade dans cette même situation ; mais ils ne connaissent pas cette femme-là comme moi. Ils ignorent combien elle est étrangère aux petitesses dont son sexe est parfois atteint ; qu’elle a trop de moyens d’intéresser pour en chercher un semblable. D’ailleurs, sa pâleur, ses oppressions, indiquent assez qu’une cause secrète ruine son existence. J’espère beaucoup de son voyage. Madame de Saint-André, âgée de trente ans au plus, douée d’une bonne constitution, doit lutter avec succès contre cette langueur singulière. Elle rentra alors. Son honnête médecin lui recommanda de suivre fidellement ses ordonnances, sur-tout de ne pas veiller, et de faire beaucoup d’exercice. Palmira s’engagea à la plus exacte surveillance, et, après avoir exprimé un profond intérêt, elle reçut les remercîmens les plus obligeans. Le docteur quitta madame de Saint-André, non sans une émotion assez généralement étrangère aux gens de son état.