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CORRESPONDANCE.

les ennemis de la philosophie que l’on veut punir de leurs manœuvres. J’avais eu la même idée que vous il y a longtemps. Je consultai des gens au fait qui craignirent même de me répondre. Je craindrais aussi de vous écrire, si la pureté de vos intentions et des miennes ne me rassurait contre le danger que courent aujourd’hui toutes les lettres. On ne verra jamais dans notre commerce que l’amour du bien public, et des sentiments qui doivent plaire à tous les honnêtes gens. Ce sont là les vrais marrons de Bertrand et de Raton.

Je vous ai mandé, mon cher et respectable ami, qu’il est très-difficile actuellement de vous faire parvenir le petit recueil[1] où se trouve le très-ingénieux Dialogue de Christine et de Descartes. On y a mis des lettres de la personne qui veut qu’on enseigne les belles manières chez elle[2]. Ces lettres ont alarmé des gens qui ont de fort mauvaises manières. Je trouverai pourtant un moyen de vous faire parvenir ce petit proscrit ; mais songez que j’ai l’honneur de l’être moi-même, et de plus très-malade, très-embarrassé, très-persécuté, mais vous aimant de tout mon cœur, et autant que je vous révère.

8816. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
19 avril.

Mon cher ange, votre lettre du 13 avril m’a bien consolé, mais ne m’a pas guéri, par la raison qu’à soixante-dix-neuf ans, avec un corps de roseau et des organes de papier mâché, je suis inguérissable. Toutes les chimères dont je me berçais sont sorties de ma tête. Vous savez que j’avais imaginé de partir de Crète [3] sur un vaisseau suédois, pour venir vous embrasser ; la destinée en a ordonné autrement. Je vous avoue que j’en ai été au désespoir, et que mon chagrin n’a pas peu contribué à envenimer l’humeur qui rongeait ma déplorable machine.

On va représenter les Crétois à Lyon, à Bordeaux, à Bruxelles. À l’égard des comédiens de votre ville de Paris, je puis dire d’eux ce que saint Paul disait des Crétois de son temps : « Ce sont de méchantes bêtes et des ventres paresseux[4]. » Je puis

  1. Voyez lettre 8792.
  2. Catherine ; voyez ci-dessus page 349, et la lettre 8817.
  3. Voltaire avait eu le projet de venir à Paris après la représentation des Lois de Minos, dont il espérait un grand succès ; mais la pièce ne fut pas jouée.
  4. Épître à Titus, I, 12.