Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8792

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 329-330).
8792. — À M. D’ALEMBERT.
27 mars.

Mon très-aimable Bertrand, votre lettre a bien attendri mon vieux cœur, qui, pour être vieux, n’en est pas plus dur. Je ne sais pas bien positivement si je suis encore en vie ; mais en cas que j’existe, c’est pour vous aimer.

Le gros Gabriel Cramer, pendant ma maladie, a imprimé un petit recueil dans lequel vous trouverez d’abord les Lois de Minos, précédées d’une épître dédicatoire ; et, si la page 8 de cette épître dédicatoire ne vous plaît pas, je serai bien attrapé[1].

Je sais d’ailleurs que Raton aime Bertrand depuis trente ans, et que Bertrand pardonnera à une liaison de plus de cinquante.

Après la pièce sont des notes que probablement on ne réimprimera pas dans Paris, tant elles contiennent de vérités. Vous trouverez dans ce recueil[2] la seule bonne édition de l’Épître à Horace[3], le Discours de l’avocat Belleguier[4], des réflexions[5] sur le panégyrique de saint Louis, prononcé par l’abbé Maury, lesquelles ne sont pas à l’avantage des croisades.

Le Philosophe par Dumarsais, qui n’a jamais été imprimé jusqu’à présent[6], se trouve dans ce recueil.

Il y a deux lettres très-importantes de l’impératrice de Russie[7] sur les deux puissances.

Le principal ornement de cette collection est votre Dialogue entre Descartes et Christine[8]. On y a fourré aussi la lettre du roi de Prusse, dont l’original est conservé dans les archives de l’Académie, et dont Cramer prétend qu’on a trouvé une copie dans les papiers de votre prédécesseur Duclos.

Presque toutes ces pièces sont accompagnées de remarques, dont quelques-unes sont assez curieuses.

J’oubliais de vous dire que, dans l’épître dédicatoire, M. de La Harpe est désigné comme le seul qui peut soutenir le théâtre français[9], et qui n’a éprouvé que persécutions et injustices pour tout encouragement.

Comment m’y prendrai-je pour vous faire parvenir ce petit paquet de facéties allobroges ? elles sont de contrebande, et moi aussi.

Si j’ai encore quelque temps à vivre, je le passerai à cultiver mon jardin. Il faut finir comme Candide, j’ai assez vécu comme lui. Ma grande consolation est que vous soutenez l’honneur de nos pauvres Welches, en quoi vous serez bien secondé par M. le marquis de Condorcet.

Adieu, mon philosophe très-cher et très-nécessaire. Adieu ; vivez longtemps.

  1. Voyez, dans l’épître dédicatoire des Lois de Minos (tome VII, page 170), l’alinéa qui commence par ces mots : C’est à vous de maintenir.
  2. Toutes les pièces que Voltaire énumère ici sont à la suite des Lois de Minos, dans l’édition dont il est parlé, tome VII, page 166.
  3. Voyez tome X, page 441.
  4. Tome XXIX, page 9.
  5. Quelques Petites Hardiesses de M. Clair, tome XXVIII, page 559.
  6. Voyez la note, tome XXIX, page 41.
  7. Ce sont celles qui, dans la présente édition, portent le No 6393, et des fragments du No 6089 qui sont répétés, tome XX, page 301.
  8. Ce Dialogue de d’Alembert est à la page 298 du volume dont parle Voltaire.
  9. Voyez tome VII, page 171.