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CORRESPONDANCE.

est d’opinion que les vers ne doivent être traduits qu’en vers. Vous verrez vous-même cette pièce, et vous pourrez la placer dans votre bibliothèque chinoise. Quoique notre grave professeur s’excuse sur la difficulté de la traduction, il ne compte pour rien quelques solécismes qui lui sont échappés, quelques mauvaises rimes qu’on ne doit point envisager comme défectueuses lorsqu’on traduit l’ouvrage d’un empereur.

Vous verrez ce que l’on pense en Chine des succès des Russes et de leurs victoires. Cependant je puis vous assurer que nos nouvelles de Constantinople ne font aucune mention de votre prétendu soudan d’Égypte[1] ; et je prends ce qu’on en débite pour un conte ajusté et mis en roman par le gazetier. Vous qui avez de tout temps déclamé contre la guerre, voudriez-vous perpétuer celle-ci ? Ne savez-vous pas que ce Moustapha avec sa pipe est allié des Welches et de Choiseul, qui a fait partir en hâte un détachement d’officiers de génie et d’artillerie pour fortifier les Dardanelles ? Ne savez-vous pas que, s’il n’y avait un Grand Turc, le temple de Jérusalem serait rebâti ; qu’il n’y aurait plus de sérail, plus de mamamouchi, plus d’ablutions, et que de certaines puissances voisines de Belgrade s’intéressent vivement à l’Alcoran ? et qu’enfin, quelque brillante que soit la guerre, la paix lui est toujours préférable ?

Je salue l’original de certaine statue, et le recommande à Apollon, dieu de la santé, ainsi qu’à Minerve, pour veiller à sa conservation.

Fédéric.
8107. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, ce 4 décembre.

Il y a dix jours, mon cher maître, que je suis ici ; j’y ai reçu trois de vos lettres[2], dont deux m’ont été renvoyées d’Aix et de Montpellier. J’y répondrai par ordre et en peu de mots, car il ne faut pas vous ennuyer de mon bavardage. Je ne doute point que Palissot ne soit à Genève pour y faire imprimer quelque satire contre la philosophie, et je lui dirai comme les gens du peuple J’en retiens part, tant ses satires me paraissent redoutables !

M. Dupaty[3] était encore au secret quand j’ai repassé à Lyon ; j’appris hier qu’il était sorti de Pierre-Encise, et exilé à Roanne en Forez. On n’en fera pas autant au réquisitorien[4] que j’ai trouvé partout, à Lyon et à Montpellier, sans vouloir me rencontrer avec lui ; j’aurais pu lui dire, dans chaque ville où j’ai séjourné durant mon voyage :


· · · · · · · · · · Quoi ! Pyrrhus, je te rencontre encore !
Trouverai-je partout un maraud que j’abhorre[5] ?


  1. Allusion à Ali-bey, chef des mameluks, fort redouté alors en Égypte, et peu après allié avec les Russes contre la Porte.
  2. Les nos 8055, 8073 et 8088 ; la première de ces trois lettres avait été retardée.
  3. Voyez tome XLVI, page 295.
  4. Seguier ; voyez lettre 8091.
  5. Dans Andromaque, acte V, scène v, au lieu de maraud on lit rival.