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pour la supplier de demander M. Chardon à monsieur le vice-chancelier. M. de Beaumont insiste sur M. Chardon. Pour moi, j’avoue que tout rapporteur m’est indifférent. Je trouve la cause des Sirven si claire, la sentence si absurde, et toutes les circonstances de cette affaire si horribles, que je ne crois pas qu’il y eût un seul homme au conseil qui balançât un moment.

Il faut vous dire encore que le parlement de Toulouse persiste à condamner la mémoire de Calas. Il a préféré l’intérêt de son indigne amour-propre à l’honneur d’avouer sa faute et de la réparer. Comment voudrait-on que les Sirven, condamnés comme les Calas, allassent se remettre entre les mains de pareils juges ? La famille s’exposerait à être rouée. Nous comptons sur le suffrage de mes divins anges, sur leur protection, sur leur éloquence, sur le zèle de leurs belles âmes : je ne saurais leur exprimer mon respect et ma tendresse.


6498. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Sans-Souci, 13 septembre.

Vous n’avez pas besoin de me recommander les philosophes : ils seront tous bien reçus, pourvu qu’ils soient modérés et paisibles. Je ne peux leur donner ce que je n’ai pas. Je n’ai point le don des miracles, et ne puis ressusciter les bois du parc de Cléves, que les Français ont coupés et brûlés ; mais d’ailleurs ils y trouveront asile et sûreté.

Il me souvient d’avoir lu, dans ce livre[1] brûlé dont vous parlez, qu’il était imprimé à Berne ; les Bernois ont donc exercé une juridiction légitime sur cet ouvrage. Ils ont brûlé des conciles, des controverses, des fanatiques, et des papes ; à quoi j’applaudis fort, on qualité d’hérétique. Ce ne sont que des niaiseries, en comparaison de ce qui vient de se passer à Abbeville. Rôtir des hommes passe la raillerie ; jeter du papier au feu, c’est humeur.

Vous devriez, par représailles, faire un auto-da-fé à Ferney, et condamner aux flammes tous les ouvrages de théologie et de controverse de votre voisinage, en rassemblant autour du brasier des théologiens de toute secte, pour les régaler de ce doux spectacle. Pour moi, dont la foi est tiéde, je tolère tout le monde, à condition qu’on me tolère, moi, sans membarrasser même de la foi des autres.

Vos missionnaires dessilleront les yeux à quelques jeunes gens qui les liront ou les fréquenteront. Mais que de bêtes dans le monde qui ne pensent point ! que de personnes livrées au plaisir, que le raisonnement fatigue !

  1. L’Abrégé de l’Histoire ecclésiastique, dont il est parlé ci-dessus, page 203, et tome XXVII, pape 284.