Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préface[1]. Cela n’est guère plausible. Un homme sans cesse occupé de guerres ou d’affaires n’a pas le temps d’étudier l’histoire ecclésiastique. J’ai plus fait de manifestes durant ma vie que je n’ai lu de bulles. J’ai combattu des croisés, des gens avec des toques bénites, que le saint-père avait fortifiés dans le zèle qu’ils marquaient pour me détruire ; mais ma plume, moins téméraire que mon épée, respecte les objets qu’une longue coutume a rendus vénérables. Je vois avec étonnement, par votre lettre, que vous pourriez choisir une autre retraite que la Suisse, et que vous pensez au pays de Clèves. Cet asile vous sera ouvert en tout temps. Comment le refuserais-je à un homme qui a tant fait d’honneur aux lettres, à sa patrie, à l’humanité, enfin à son siècle ? Vous pouvez aller de Suisse à Clèves sans fatigue ; si vous vous embarquez à Bâle, vous pouvez faire ce voyage en quinze jours sans presque sortir de votre lit.

J’ai lu avec plaisir la petite brochure que vous m’avez envoyée ; elle fera plus d’impression qu’un gros livre : peu de gens raisonnent, au lieu que chaque individu est susceptible d’émotion à la narration simple d’un fait. Il ne m’en fallait pas tant pour assister ces malheureux[2] que le fanatisme prive de leur patrie dans le royaume le plus policé de l’Europe ; ils trouveront des secours et même un établissement, s’ils le veulent, qui pourra les soustraire aux atrocités de la persécution et aux longues formalités d’une justice que peut-être on ne leur rendra pas. Voilà ce que je puis faire et ce que je m’offre d’exécuter, tant en faveur de l’auteur de la Henriade que de sa nièce, de son jésuite Adam, et de son hérétique Sirven. Je prie le ciel qu’il les conserve tous dans sa sainte garde.


6410. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux eaux de Rolle, 16 juillet.

Je me jette à votre nez, à vos pieds, à vos ailes, mes divins anges. Je vous demande en grâce de m’apprendre s’il n’y a rien de nouveau. Je vous supplie de me faire avoir la consultation[3] des avocats ; c’est un monument de générosité, de fermeté, et de sagesse, dont j’ai d’ailleurs un très-grand besoin. Si vous n’en avez qu’un exemplaire, et que vous ne vouliez pas le perdre, je le ferai transcrire, et je vous le renverrai aussitôt.

L’atrocité de cette aventure me saisit d’horreur et de colère. Je me repens bien de m’être ruiné à bâtir et à faire du bien dans

  1. Voyez lettre 6252.
  2. Les Sirven. La brochure dont parle le roi de Prusse est probablement le Petit Discours dont, il a été question dans les lettres 6292, 6299, 6373, 6387.
  3. Un Mémoire à consulter pour le sieur Moinel et autres accusés est suivi d’une Consultation datée du 27 juin 1766, et signée Cellier, d’Outremont, Muyart de Vouglans, Gerbier, Timbergue, Benoist fils, Turpin et Linguet. Le Mémoire et la Consultation font partie du Recueil intéressant publié par Devérité.