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tiendrai parole dans ce temps-là. Vous m’avouerez qu’un ministre n’a pas à se plaindre quand on observe fidèlement les traités à la lettre.

Votre petite conjuration va-t-elle son train ?

Respect et tendresse.


5437. — DE CATHERINE II[1],
impératrice de russie.

J’ai mis sous les vers du portrait de Pierre le Grand que M. de Voltaire m’a envoyés par M. de Balk[2] : « Oue Dieu le veuille ! »

J’ai commis un péché mortel en recevant la lettre adressée au géant[3] : j’ai quitté un tas de suppliques, j’ai retardé la fortune de plusieurs personnes, tant j’étais avide de la lire. Je n’en ai pas même eu de repentir. Il n’y a point de casuistes dans mon empire, et jusqu’ici je n’en étais pas bien fâchée. Mais voyant le besoin d’être ramenée à mon devoir, j’ai trouvé qu’il n’y avait point de meilleur moyen que de céder au tourbillon qui m’emporte, et de prendre la plume pour prier M. de Voltaire, très-sérieusement, de ne me plus louer avant que je l’aie mérité. Sa réputation et la mienne y sont également intéressées. Il dira qu’il ne tient qu’à moi de m’en rendre digne ; mais en vérité, dans l’immensité de la Russie, un an n’est qu’un jour, comme mille ans devant le Seigneur. Voilà mon excuse de n’avoir pas encore fait le bien que j’aurais dû faire.

Je répondrai à la prophétie de J.-J. Rousseau[4] en lui donnant, j’espère, aussi longtemps que je vivrai, un démenti fort impoli. Voilà mon intention ; reste à voir les effets. Après cela, monsieur, j’ai envie de vous dire : Priez Dieu pour moi.

J’ai reçu aussi, avec beaucoup de reconnaissance, le second tome de Pierre le Grand. Si, dans le temps que vous avez commencé cet ouvrage, j’avais été ce que je suis aujourd’hui, j’aurais fourni bien d’autres mémoires. Il est vrai qu’on ne peut assez s’étonner du génie de ce grand homme. Je vais faire imprimer ses lettres originales, que j’ai ordonné de ramasser de toutes parts. Il s’y peint lui-même. Ce qu’il y avait de plus beau dans son caractère, c’est que, quoique colérique qu’il fût, la vérité avait toujours sur lui un ascendant infaillible : et pour cela seul il mériterait, je pense, une statue.


  1. Sophie-Auguste-Dorothée, princesse d’Anhalt-Zerbst, née à Stettin en 1729, mariée en 1745 au duc de Holstein Gottorp, qui, devenu empereur de Russie en 1762, sous le nom de Pierre III, fut empoisonné et étranglé le 17 juillet 1763, prit, en devenant souveraine de la Russie, le nom de Catherine II. Elle est morte en 1796.
  2. Ces vers sont sans doute les mêmes que ceux de la lettre à Schouvalow du 10 janvier 1761.
  3. Pictet, à qui est adressée la lettre 5421.
  4. Voyez tome XX, page 218.