Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4410

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 142-143).

4410. — À M. JEAN SCHOUVALOW.
Ferney, le 10 janvier.

Monsieur, je n’ai jamais été du goût de mettre des vers au bas d’un portrait ; cependant, puisque vous voulez en avoir pour l’estampe de Pierre le Grand, en voici quatre que vous me demandez :


Ses lois et ses travaux ont instruit les mortels[1] ;
Il fit tout pour son peuple, et sa fille l’imite ;
Zoroastre, Osiris, vous eûtes des autels,
Et c’est lui seul qui les mérite.


Le seul nom de Pierre le Grand, monsieur, vaut mieux que ces quatre vers ; mais, puisqu’il y est question de son auguste fille, je demande grâce pour eux.

M. de Soltikof m’a dit qu’il n’avait aucune nouvelle de M. Pouschkin ; que personne n’en avait eu depuis son départ de Vienne. Il est à craindre que, dans ce voyage, il n’ait été pris par les Prussiens. Quoi qu’il en soit, je n’ai aucuns matériaux pour le second volume. J’ai déjà eu l’honneur de mander plusieurs fois à Votre Excellence qu’il est impossible de faire une histoire tolérable sans un précis des négociations et des guerres. Mon âge avance, ma santé est faible ; j’ai bien peur de mourir sans avoir achevé votre édifice. Ce qui achèverait de me faire mourir avec amertume, ce serait d’ignorer si la digne fille de Pierre le Grand a daigné agréer le monument que j’ai élevé à la gloire de son père. L’amour qu’elle a pour sa mémoire me fait espérer qu’elle voudra bien descendre un moment du haut rang où le ciel l’a placée, pour me faire assurer par Votre Excellence qu’elle n’est pas mécontente de mon travail. C’est ainsi que nos rois ont la bonté d’en user, même avec leurs propres sujets.

Les lettres du roi Stanislas, que vous avez eu la bonté de m’envoyer, monsieur, sont une preuve de l’état déplorable où il était alors. Je crois que les réponses de l’empereur Pierre le Grand seraient encore beaucoup plus curieuses. C’est sur de pareilles pièces qu’il est agréable d’écrire l’histoire, mais n’ayant presque rien depuis la bataille et la paix du Pruth, il faut que je reste les bras croisés. Quand il plaira à Votre Excellence de me mettre la plume à la main, je suis tout prêt.

Je finis par vous assurer de tous les vœux que je fais pour votre bonheur particulier, et pour la postérité de vos armes[2].

  1. Ce quatrain est répété, avec quelques différences, dans la lettre du 30 mars 1761.
  2. Dans quelques éditions, on trouve ici la requête à M. le lieutenant criminel du pays de Gex et l’Addition, qui sont tome XXIV, pages 161 à 164.