Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/614

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
604
ESCLAVES.

Grotius demande si un homme fait captif à la guerre a le droit de s’enfuir (et remarquez qu’il ne parle pas d’un prisonnier sur sa parole d’honneur). Il décide qu’il n’a pas ce droit. Que ne dit-il aussi qu’ayant été blessé il n’a pas le droit de se faire panser ? La nature décide contre Grotius.

Voici ce qu’avance l’auteur de l’Esprit des lois[1] après avoir peint l’esclavage des Nègres avec le pinceau de Molière :

« M. Perry dit que les Moscovites se vendent aisément ; j’en sais bien la raison, c’est que leur liberté ne vaut rien. »

Le capitaine Jean Perry, Anglais qui écrivait en 1714 l’État présent de la Russie, ne dit pas un mot de ce que l’Esprit des lois lui fait dire[2]. Il n’y a dans Perry que quelques lignes touchant l’esclavage des Russes ; les voici : « Le czar a ordonné que, dans tous ses États, personne à l’avenir ne se dirait son golup ou esclave, mais seulement raab, qui signifie sujet. Il est vrai que ce peuple n’en a tiré aucun avantage réel, car il est encore aujourd’hui effectivement esclave[3]. »

L’auteur de l’Esprit des lois ajoute que, suivant le récit de Guillaume Dampier, « tout le monde cherche à se vendre dans le royaume d’Achem ». Ce serait là un étrange commerce. Je n’ai rien vu dans le Voyage de Dampier qui approche d’une pareille idée. C’est dommage qu’un homme qui avait tant d’esprit ait hasardé tant de choses, et cité faux tant de fois[4].


SECTION IV[5].


Serfs de corps, serfs de glèbe, mainmorte, etc.


On dit communément qu’il n’y a plus d’esclaves en France, que c’est le royaume des Francs ; qu’esclave et franc sont contradictoires ; qu’on y est si franc que plusieurs financiers y sont morts en dernier lieu avec plus de trente millions de francs

  1. Livre XV, chapitre vi. (Note de Voltaire.)
  2. Voltaire répète à peu près ce qu’il a dit dans le huitième entretien de l’A, B, C (voyez Mélanges, année 1768).
  3. Page 228, édition d’Amsterdam, 1717. (Note de Voltaire.)
  4. Voyez à l’article Lois les grands changements faits depuis en Russie. Voyez aussi quelques méprises de Montesquieu. (Note de Voltaire.) — Cette note de Voltaire existe dès 1771 telle qu’elle est ici. Plusieurs méprises de Montesquieu sont relevées dans des articles du Dictionnaire philosophique ; voyez Amour socratique, Argent, Femme, Inceste, etc., et surtout Lois (Esprit des) ; voyez aussi dans les Mélanges, année 1768, l’A, B, C (dialogue Ier); et année 1777, le Commentaire sur l’Esprit des lois.
  5. Voyez la note 2 de la page 599.