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cer que le sol d’une prairie non arrosée & supposée en bon fond, sera plus lucratit, cultivé en grains, que dans son premier état. Pour être convaincu de cette vérité, il s’agit de s’entendre.

Dans les provinces méridionales[1], tout pré naturel non arrosé est pour l’ordinaire d’un si mince produit qu’on ne doit presque le considérer que comme un lieu destiné au pâturage pour le bétail, & encore pendant le fort de l’été l’herbe y est si courte, qu’à peine le mouton y trouve une nourriture suffisante. Si le printemps est sec, ce qui arrive au moins huit fois sur dix, la récolte est, pour ainsi dire, nulle ou du moins très-chétive. Un pareil terrain rendroit plus étant cultivé en grains ; & s’il a du fond, si ce fond est avantageux à la luzerne, on doubleroit & quadrupleront son produit en le cultivant.

Dans les provinces du centre du royaume, la récolte de ces prairies est un peu moins casuelle. Elle est plus assurée dans celles du nord, soit par la fraîcheur du climat, soit par la fréquence des pluies.

Toutes ces prairies ne peuvent exister si le sol est sablonneux, graveleux, si la couche de bonne terre n’a pas une certaine profondeur, ou si cette bonne couche est portée par une couche de sable. Personne n’ignore que de telles prairies exigent des engrais, & qu’on doit les renouveler au moins tous les trois ans ; mais comme les engrais sont la chose la plus chère, (les environs de Paris exceptés) la plus précieuse, la plus utile, & jamais en quantité proportionnée aux besoins d’une métairie, on doit convenir que cette forte avance diminue beaucoup la valeur du produit, & que l’on dit trop généralement que les prés n’exigent aucune dépense. En outre, si le premier printemps de l’année où l’on a fumé la prairie, est sec, cet engrais nuit plus à la récolte qu’il ne lui est utile. Si à ce pré vous refusez l’engrais, dans quelque climat que ce soit, la récolte sera médiocre. Ainsi, à mettre les choses à leur juste valeur pour plus de la moitié de la France, une bonne récolte ne ressemble pas mal à un billet gagnant de loterie. Cependant ce sol est nécessairement supposé bon, donc il ne rend pas autant qu’il le devroit si on changeoit sa culture.

Je conviens qu’en suivant la méthode commune, on n’auroit sur ce champ que cinq récoltes en grains dans dix ans. Mais parce que cette méthode est de toutes la plus absurde, il ne s’ensuit pas que mon affection ne soit vraie dans toute sa rigueur, si on supprime l’année de jachères, & si on alterne les récoltes. (Consultez ce mot, ainsi que les mots Trèfle, Sainfoin, Luzerne, Colsat, Lin, Chanvre, Raves, Pommes de terre, &c.)

  1. Quand je me sers de l’expression de Provinces méridionales, il faut l’entendre, non pas tout-à-fait géographiquement, mais des cantons, des positions qui, par leurs abris (consultez ce mot) éprouvent un peu plus ou un peu moins la chaleur de ces climats car dans ces mêmes provinces les pays élevés se rapprochent pour le climat de nos provinces du nord, & quelques-unes de leurs montagnes sont véritablement sub-alpines, dès-lors très-froides.