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prologve dv qvart livre

diſoit le bon Euiſpande Verron, Beaucoup & du bon. D’abondant m’inuitez à la continuation de l’hiſtoire Pantagrueline, allegans les vtilitez & fruictz parceuz en la lecture d’icelle, entre tous gens de bien. Vous excuſans de ce, que n’auez obtemperé à ma priere, contenant qu’euſſiez vous reſerué à rire au ſeptante huictieſme liure[1]. Ie le vous pardonne de bien bon cueur. Ie ne ſuis tant farouche ne implacable que vous penſeriez. Mais ce que vous en diſoys, n’eſtoit pour voſtre mal. Et vous dy pour reſponſe, comme eſt la ſentence d’Hector proferée par Neuius[2], que c’eſt : belle choſe eſtre loué de gens louables. Par reciprocque declaration, ie dy & maintiens iusques au feu excluſiuement[3] (entendez & pour cauſe) que vous eſtes grandz gens de bien, tous extraictz de bons Peres & bonnes meres, vous promettant foy de Pieton, que ſi iamais vous rencontre en Meſopotamie, ie feray tant auecques le petit conte George de la baſſe Egypte, qu’à chaſcun de vous il fera preſent d’vn beau Crocodille du Nil, & d’vn Cauquemarre d’Euphrates.

Vous adiugez. Quoy ? A qui ? Tous les vieux quartiers de lune aux Caphards, Cagotz, Matagotz, Botineurs, Papelards, Burgotz, Pateſpelues, Porteurs de Rogatons, Chattemittes : Ce ſont noms horrificques ſeulement oyant leur ſon. A la prononciation desquelz i’ay veu les cheueulx dreſſer en teſte de voſtre noble ambaſſadeur. Ie n’y ay entendu que le hault Allemant, & ne ſçay quelle ſorte de beſtes comprenez en ces denominations. Ayant faict diligente recherche par diuerſes contrées, n’ay trouué homme qui les aduouaſt, qui ainſi toleraſt eſtre nommé ou deſigné : Ie preſuppoſe que c’eſtoit quelque eſpece monſtrueuſe de animaulx Barbares

  1. Au ſeptante huictieſme liure. Voyez ci-dessus, p. 219, note sur la l. 11 de la p. 1.*

    * L’autheur ſuſdict ſupplie les Lecteurs beneuoles, ſoy reſeruer a rire… C’est la parodie d’une formule qui se trouve en tête de certains ouvrages du XVIe siècle. Par exemple Joachim du Bellay s’exprime ainsi au commencement de La deffence & illuſtration de la langue françoyſe : « L’autheur prye les Lecteurs differer leur iugement iuſques à la fin du Liure… » (Œuvrest. I, p. 3, dans la Pléiade francoiſe.)

  2. La ſentence d’Hector proférée par Neuius. « Aliter enim Nævianus ille gaudet Hector : Lastus sum laudari me abs te, pater, laudato viro. » (Cicéron, Tusculanes, IV, 31)
  3. Iuſques au feu excluſiuement. Voyez ci-dessus, p. 160, note sur la l. 5 de la p. 217.*

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