Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 2.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
143 e
30
SECOND ALCIBIADE

Alcibiade. — Non plus.

Socrate. — C’est donc un mal, comme il le paraît, pour l’homme de bien, d’ignorer — et d’ignorer le bien.

Alcibiade. — Il me le semble.

Socrate. — Pour lui, n’est-ce pas, et pour tous les autres ?

Alcibiade. — Je l’avoue.

Socrate. — Considérons encore ceci : s’il te prenait tout à coup fantaisie, jugeant que c’est bien, d’aller chez Périclès[1] ton tuteur et ton ami, avec un poignard, et arrivé à la porte de t’informer s’il est chez lui, 144dans l’intention de le tuer, lui et personne autre. On te dirait qu’il y est (je ne prétends pas que tu aies jamais pareil dessein, mais je suppose que tu en aies l’idée, — et rien n’empêche qu’on l’ait quand on ignore ce qu’est le bien, de sorte que l’on prend pour le bien ce qui est précisément le mal. N’est-ce pas ton avis ?)

Alcibiade. — Tout à fait.

Socrate. — Si donc, entrant dans la maison, tu le voyais sans le reconnaître bet le prenais pour un autre, oserais-tu encore le tuer ?

Alcibiade. — Par Zeus, non, je ne le pense pas.

Socrate. — Car, ce n’est pas à n’importe qui, mais à Périclès en personne que tu en voudrais, n’est-ce pas ?

Alcibiade. — Oui.

Socrate. — Et si renouvelant fréquemment ton entreprise, il t’arrivait toujours de ne pas le reconnaître au moment d’accomplir ton acte, tu ne t’attaquerais jamais à lui.

Alcibiade. — Non, certes.

Socrate. — Eh quoi ! penses-tu qu’Oreste aurait jamais porté la main sur sa mère si, de même, il ne l’avait pas reconnue ?

    de son père, assassiné par Clytemnestre, en tuant sa propre mère. — Alcméon, fils du devin Amphiaraüs et d’Ériphyle (Hom. Odyssée, XV, 248), prit part à l’expédition des Épigones contre Thèbes, et, sur l’ordre de son père qui était mort dans cette guerre, à son retour, tua sa mère qui s’était laissé séduire par le présent d’un riche collier et avait déterminé son époux à participer au combat (Cf. Apollod. Bibl. II, 6 et 7).

  1. À la mort de son père Clinias, tué en 446 à la bataille de Coronée, Alcibiade, alors âgé de 4 ans, fut confié à la tutelle de Périclès qui était son proche parent (voir Alc. I, 104 b).