Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 1.djvu/96

Cette page a été validée par deux contributeurs.
lxxxviii
NOTICES

sa patrie. L’information relative à l’insuffisance de la somme remise par Denys pour subvenir aux frais de voyage ne concorde pas avec le récit de la 7e lettre, qui mentionne le geste du tyran, mais sans laisser soupçonner le moins du monde pareille mesquinerie (VII, 350 b).

La lettre se fait l’écho d’une légende qui paraît s’être formée peu à peu. De bonne heure les biographes du philosophe parlèrent de sa gravité (σεμνότης) que les satiriques ne tardèrent pas à transformer en tristesse ou en mélancolie : « Ô Platon, s’écriait au ive siècle le poète comique Amphis dans Dexidémide, n’es-tu donc capable que de montrer un visage sombre, avec tes sourcils gravement relevés en spirale comme un coquillage ? »[1]. Les Problemata faussement attribués à Aristote font aussi mention de la mélancolie de Platon[2]. « La plupart du temps, il fuyait la foule, au dire de certains », rapporte à son tour Diogène Laërce (III, 40). À conclure de là qu’il était misanthrope, il n’y avait qu’un pas. Or, voilà bien ce qu’insinue la 1re lettre en nous révélant un Platon dépité, cherchant désormais un genre de vie qui l’éloigne davantage des humains (309 b). Cette attitude est encore accentuée dans une autre lettre platonicienne étrangère à la collection traditionnelle et insérée par Hermann dans son édition, à la suite de celles que nous transmettent les manuscrits (lettre 14. — Dans Hercher, lettre socratique 24). « Je ne sais, écrit l’épistolier qui prend le nom de Platon, ce qu’est devenue pour moi la philosophie, chose bonne ou mauvaise, puisqu’à présent, j’ai horreur de me mêler à la foule… Aussi, je me suis éloigné de la ville, comme d’une prison de bêtes sauvages, j’ai élu domicile non loin d’Iphistiade et de ces parages, sachant bien que Timon n’était pas misanthrope, mais que ne trouvant pas des hommes, il ne pouvait aimer des bêtes sauvages. Aussi menait-il une vie solitaire. » Comme tout cela s’accorde peu avec les sages conseils que le Socrate du Phédon donnait à ses amis avant de mourir : « …Prenons garde de devenir misologues, comme d’autres sont devenus misanthropes : on ne saurait éprouver de plus grand mal que la haine du discours. C’est de la même manière que naissent misologie et misanthropie. La misanthropie résulte, en effet,

  1. Diog. L. III, 28.
  2. Probl. Λ, 953 a 27.