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NOTICE

imprudent pour s’abandonner à un fou, duquel il ne pouvait attendre que dommage et désagrément ? — La conclusion (241 c 7-d 1), c’est que l’amitié d’un amoureux est une fausse amitié ; car, le désir se portant exclusivement à ce qui doit le satisfaire, c’est une amitié sans réciprocité.

Ce discours, on l’a déjà dit (p. xxx sq.), est un redressement de celui de Lysias. Mais il n’en redresse que la forme ; lui-même il aura besoin d’être redressé quant au fond, et ce sera la « palinodie » du philosophe. On pourrait donc dire que nous avons ici une première « palinodie », mais elle est, dirait-on, celle de la pure rhétorique. Le progrès de forme qu’elle manifeste n’est pas douteux : en dépit de développements qui sont surtout des amplifications, on y trouve une construction méthodique à la place de l’aventureux assemblage de fragments qui constituait toute la composition de Lysias. Si nous envisageons maintenant l’objet même du débat, le rapport des deux discours est à cet égard particulièrement instructif. L’observation finale de Socrate, avec ce qui la précède, dégage nettement ce qu’il y a de commun dans le point de vue : un amour, qui n’est pas un élan de l’âme par delà l’objet immédiat du désir, ne peut être que la convoitise d’une chose ; si l’objet de l’amour n’en est pas en même temps un sujet, si l’aimé n’est pas, pour autant, lui-même un amant, l’amant de celui qui l’aime, on a le droit de condamner l’amour. Voilà ce que fait Socrate, et l’on n’aurait peut-être pas tort de dire[1] que le contenu de son premier discours, au lieu d’être positif comme de celui de Lysias, est négatif. Lysias en effet prononçait surtout l’éloge de l’absence d’amour ; Socrate nie la valeur de l’amour tel que le comprenait le rhéteur, il se refuse (241 de) à faire à sa suite un éloge positif de l’homme qui n’aime pas. Quant à voir dans ce réquisitoire contre l’amour, soit une parodie des thèses cyniques, soit un exposé des idées mêmes du Socrate historique[2], ce

  1. Cf. Z. Diesendruck, op. cit. p. 12 sq.
  2. La première hypothèse a été défendue par K. Joël (Platons Sokratische Periode und der Phaidros, dans les Philos. Abhandl. für Max Heinze, 1906, p. 78 sqq.), dont on connaît le zèle, toujours ingénieux, à dépister partout Antisthène. Si à la fin du dialogue l’éloge d’Isocrate devait être tenu pour sincère, il ne serait pas impossible que Platon eût en effet l’intention de s’associer ici à son hostilité