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NOTICE

avec notre définitive accession à la sphère divine de la vérité. C’est alors qu’apparaît la nécessité de distinguer entre la parole et l’écrit, d’évaluer leurs mérites respectifs et de se poser, à propos de l’écrit tout seul, la question qui jusqu’alors concernait indistinctement l’un et l’autre.

Le mythe de Theuth et la supériorité de l’instruction directe sur l’écrit.

Peut-être n’est-ce pas d’ailleurs par hasard qu’au début de cette dernière partie Platon a mis un mythe, celui de l’invention de l’écriture par Theuth (274 b sqq.), comme il faisait du mythe des Cigales une introduction à la troisième partie. Quoi qu’il en soit, son intention est manifeste ; cette histoire est le symbole d’une idée (cf. p. cxiv, sqq.) : l’écrit tue dans la pensée l’activité vivante de la mémoire ; il ne fait que suppléer artificiellement à sa paresse ou à ses défaillances ; c’est un secours étranger qui nous déshabitue de l’effort intérieur. Le progrès de l’instruction ne peut résulter que de la longue patience d’une culture dirigée par l’homme qui sait, culture appropriée à celui qui la doit recevoir et supposant de la part de ce dernier une communion avec le maître qui la lui donne ; bien loin de servir ce progrès, l’écrit engendre l’illusion orgueilleuse d’un savoir dépourvu de critique et trop facilement acquis pour être solidement fondé (cf. 275 cd). On sait avec quelle sévérité Platon juge la peinture, en tant qu’elle est un trompe-l’œil destiné à nous donner le faux-semblant de la réalité vivante[1] : la vie des figures qu’elle campe devant nos yeux est réellement une vie morte et, à notre appel, ces figures demeurent inertes et silencieuses. Or il en est de même pour l’écrit : on s’imagine y trouver une pensée vivante ; mais, qu’on lui pose une question, il ne sait que se répéter ou se taire[2] ; de plus, incapable comme il est de discerner à qui il doit ou non s’adresser, il tombe à

  1. Voir p. xl, n. 3 les textes sur l’imitation et, plus particulièrement, Rép. X 596 de, 597 d-598 d, 602 d et Soph. 235 e-236 c.
  2. C’est ce que disait déjà le Protagoras 329 ab, mais en comparant les livres aux orateurs populaires qui parlent interminablement dès qu’on les met en branle et qui se taisent quand on leur pose une question imprévue, pareils à des vases de bronze qui vibrent longuement dès qu’on les heurte jusqu’à ce que, en y posant le doigt, on mette fin à cette vibration.