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PHÈDRE

des dénominations en usage ici-bas[1] qu’on emploiera pour l’homme qui est de cette sorte, mais d celle de l’objet supérieur auquel il s’est appliqué ! »

Phèdre. — Et quelles sont donc les dénominations dont tu le lotis ?

Socrate. — L’appeler un sage, à mon avis personnel c’est excessif, Phèdre, et cela ne sied qu’à la divinité. Mais l’appeler un ami de la sagesse, un philosophe[2], ou bien de quelque nom analogue, cela lui conviendrait davantage et, en même temps, serait mieux dans le ton.

Phèdre. — Et ce ne serait, ma foi, pas du tout déplacé !

Socrate. — Mais en revanche, est-ce que celui qui ne possède rien de plus précieux que ce qu’il a composé ou écrit, passant des heures à le retourner sens dessus dessous, à coller des morceaux les uns aux autres ou à en retrancher, est-ce que e sans doute tu n’auras pas le droit de le saluer des noms de poète, de faiseur de discours ou d’auteur de textes de loi ?

Phèdre. — Bien sûr !

Socrate. — Eh bien ! c’est cela que tu dois expliquer à ton camarade !

Isocrate.

Phèdre. — Et toi ? comment t’y prendras-tu ? Pas davantage, en effet, ton camarade à toi, on ne doit non plus le négliger !

Socrate. — Qui est-ce ?

Phèdre. — Le bel Isocrate[3] : à lui, Socrate, quel message porteras-tu ? Comment allons-nous le caractériser ?

Socrate. — Isocrate est encore jeune, Phèdre : ce que pourtant j’augure 279 de lui, je veux bien te le dire.

Phèdre. — Qu’est-ce donc ?

Socrate. — M’est avis que, en ce qui touche les dons de nature, il a trop de supériorité pour qu’il y ait lieu à un parallèle avec l’éloquence de Lysias, et, en outre, que son tempérament moral a plus de noblesse. Aussi ne serait-ce

  1. Celles qu’il dira un peu plus bas, déb. de e. Cf. p. 44 n. 4.
  2. Il résulterait de ce passage que l’usage spécifique du mot philosophe est encore mal fixé, comme d’ailleurs celui du mot sophiste. Le discours d’Isocrate Contre les sophistes vise ceux que nous appelons philosophes. Ce nom, il se le réservait à lui-même, et, si Platon le définit, c’est pour en revendiquer la propriété (cf. Notice p. clxx sqq.).
  3. Voilà donc, après tout ce qui précède, le prince des rhéteurs aussi cher à Socrate que Lysias l’est à Phèdre ! Cf. Notice, p. clxxiii sqq.