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262 c
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PHÈDRE

Socrate. — c Alors, mon camarade, c’est donc qu’un art oratoire, que manifestera celui qui ne connaît pas la vérité et qui n’a été en chasse que d’opinions, est un art risible, à ce qu’il semble, et même sans art !

Phèdre. — Peut-être bien.

Vérification par l’exemple : du discours de Lysias.

Socrate. — Veux-tu, par suite, dans ce discours de Lysias, que tu as sur toi, et dans ceux que j’ai prononcés, envisager quelque cas de ce que nous déclarons sans art ou plein d’art ?

Phèdre. — Voilà, ma foi oui, mon vœu le plus cher ! D’autant qu’en vérité nous parlons à présent quelque peu en l’air, faute d’avoir des exemples[1] convenables.

Socrate. — C’est d’ailleurs pour nous une vraie chance, semble-t-il bien, qu’aient été prononcés deux discours où il y a un exemple de la façon d dont celui qui connaît le vrai peut, en se faisant de la parole un jeu, égarer ses auditeurs[2]. C’est une chose, Phèdre, que pour ma part je dois aux divinités locales ; mais il se peut aussi que les interprètes des Muses, ces cigales chanteuses qui sont au-dessus de nos têtes, nous aient insufflé ce privilège : je ne pense pas être en effet, quant à moi, loti d’aucun art de parole !

Phèdre. — Mettons que tu aies raison, pourvu seulement que tu prouves ce que tu affirmes !

Socrate. — Allons ! lis-moi alors le début du discours de Lysias.

Phèdre. — « Quel est mon cas, tu en es instruit, e et mon opinion sur l’intérêt que nous avons à la réalisation de ceci, tu l’as entendue. Or, je ne crois pas que ma requête doive valablement échouer pour ce motif que, justement, je ne suis pas ton amoureux. La preuve en est que les gens dont je parle en viennent à regretter… »

Socrate. — Halte-là ! En quoi, maintenant, Lysias est-il fautif et sa composition, dénuée d’art, il faut le dire : 263 c’est bien cela, n’est-ce pas ?

Phèdre. — Oui.

Socrate. — Eh bien ! n’y a-t-il pas une chose au moins

  1. L’insistance de Platon sur cette idée (comparer infra 264 e, 265 c) est significative de son intention : cf. Notice, p. xl sqq.
  2. Seul peut sciemment dire faux celui qui sait le vrai (cf. Hip-