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PHÈDRE

L’Idée et la réminiscence ; le délire d’amour.

« La cause en est qu’une intelligence d’homme doit s’exercer selon ce qu’on appelle Idée, en allant d’une multiplicité de sensations c vers une unité, dont l’assemblage est acte de réflexion[1]. Or cet acte consiste en un ressouvenir des objets que jadis notre âme a vus, lorsqu’elle s’associait à la promenade d’un dieu, lorsqu’elle regardait de haut tout ce à quoi dans notre présente existence nous attribuons la réalité et qu’elle levait la tête vers ce qui est réellement réel. Aussi est-il juste assurément que, seule, la pensée du philosophe soit ailée : c’est que les grands objets, auxquels constamment par le souvenir elle s’applique dans la mesure de ses forces, sont justement ceux auxquels, parce qu’il s’y applique, un dieu doit sa divinité[2] ! Eh bien ! c’est en usant droitement de pareils moyens de souvenance qu’un homme, dont l’initiation à de parfaits mystères est toujours parfaite, est seul à devenir réellement parfait. Mais, comme il s’écarte d des objets où tend le zèle des hommes et qu’il s’attache à ce qui est divin, la foule lui remontre qu’il a la tête à l’envers, alors qu’il est possédé d’un dieu ; mais la foule ne s’en rend pas compte !

« Or donc, voici où en arrive tout le développement concernant la quatrième forme du délire — oui, du délire : quand, à la vue de la beauté d’ici-bas, au ressouvenir de celle qui est véritable, on prend des ailes, de nouveau ailé[3] impatient aussi de s’envoler mais impuissant à le faire, portant vers le haut son regard à la manière de l’oiseau[4], mais négligeant les choses d’en-bas, on a ce qu’il faut pour se faire taxer d’être atteint de délire… e La conclusion, c’est que, entre toutes les formes de possession divine, celle-là se révèle être la meilleure, en

  1. Pour aller à l’Idée et obtenir la réminiscence de visions oubliées, cette discipline logique d’un exercice normal de la pensée a un pendant émotif, le don divin du délire d’amour (Notice p. xciv sq.).
  2. Au-dessus du dieu il y a donc du divin : la réalité intelligible dont le dieu fait sa substance (cf. 247 d déb. et p. 38, n. 2).
  3. Le texte usuel place ce et avant : de nouveau ailé. Mais, liés à l’impatience de voler, ces mots ne sont plus une répétition superflue.
  4. Avec ces jeunes ailes il est plutôt un oisillon, élevant en effet la tête quand il s’essaie à voler. C’est en ce sens qu’interprète Hermias.