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PHÈDRE

conservé un échantillon ; ceux-ci seraient de la sorte assez voisins de sa mort survenue en 379[1].

L’extrême imprécision de nos connaissances ne semble pas permettre de choisir entre ces deux façons de « romancer » quelques pauvres données de l’histoire, ou d’une tradition érudite qui n’est peut-être elle-même qu’un autre roman plus ancien. Ce sur quoi, par contre, il faut s’arrêter c’est sur l’étrange désaccord qu’il semble y avoir entre la façon dont l’art de Lysias est apprécié par Platon et dont il l’a été par Cicéron, par Quintilien et aussi par la critique moderne. Pour Platon en effet Lysias, qui passe aux yeux de Phèdre et de tous les fervents de l’écriture artiste pour « le plus habile des écrivains actuels » (228 a), est au contraire un mauvais écrivain, qui manque à la fois d’invention et de méthode, qui n’a ni spontanéité ni logique, aussi vague qu’il est diffus (cf. p. lxiv, sq.). Or Cicéron par exemple, s’il reproche à Lysias une maigreur passablement décharnée, loue la façon dont il va droit au fait, sa finesse élégante et spirituelle, sa pénétration, le naturel de ses peintures et même, parfois, la vigueur nerveuse de son talent[2]. Nous n’en jugeons guère autrement : nous louons chez Lysias la sobriété, une simplicité de ton qui dissimule à merveille une technique savante, l’art de faire vivre ses personnages et de les faire parler selon leur caractère et leur situation, enfin, à l’occasion, de la force ou de l’émotion, mais sans rien de déclamatoire ni de forcé. Sans doute dira-t-on, pour atténuer le contraste brutal de ces jugements, que Platon n’a pas eu en vue les mêmes écrits de Lysias que Cicéron ou que les critiques d’aujourd’hui. Est-il croyable cependant que Lysias fût à ce point différent dans ses plaidoyers de ce qu’il était dans ses discours épidictiques ? Pourquoi, si cette différence existait en effet, Platon ne l’a-t-il pas notée et ne tient-il aucun compte de ce qu’il y a de meilleur chez Lysias ? On en est d’autant plus surpris qu’en lui il a envisagé aussi l’auteur de plaidoyers, le logographe (257 c sqq.) ; or il n’a jugé utile d’introduire à ce propos ni distinction ni réserve, se bornant à mettre hors de cause le fait même d’être logographe, pourvu qu’on le soit comme il faut (cf. 258 cd ;

  1. Voir Wilamowitz Platon², I, p. 259.
  2. Brutus 38, 63 sq., 285 fin, 293 ; Orator 29 sq..