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PHÈDRE


Deuxième partie. —
La voix démonique.

Socrate. — Au moment même, mon bon, où j’étais sur le point de traverser la rivière, ce signal divin, ce signal dont la manifestation est habituelle chez moi[1], s’est manifesté. Or c’est toujours pour m’arrêter quand je vais c faire une chose. Et j’ai cru entendre une voix qui en venait et qui ne m’autorisait pas à m’en aller avant de m’être acquitté d’une pénitence, en raison de quelque péché de ma part envers la divinité : preuve certaine que je suis un devin, pas très fort c’est vrai, mais, à la façon des gens qui savent mal leurs lettres, juste assez rien que pour moi ! Donc j’ai déjà claire conscience d’avoir péché. Incontestablement une chose, camarade, qui a ce pouvoir même de divination, c’est aussi l’âme : il y avait en effet un je ne sais quoi qui me troublait, et depuis un bon moment, tandis que je disais mon discours ; j’étais tout décontenancé, par peur, selon la parole d’Ibycus[2], qu’ayant failli auprès des dieux, d je ne fusse, en compensation, honoré des hommes. Mais maintenant je me suis rendu compte de mon péché !

Phèdre. — Quel est donc le péché dont tu parles ?

Socrate. — Épouvantable, Phèdre, épouvantable est le discours dont tu t’es toi-même chargé, aussi bien que celui que tu m’as forcé de prononcer…

Phèdre. — Comment cela ?

Socrate. — Une niaiserie, et, dans une certaine mesure, une impiété ! Dans ces conditions peut-il y avoir plus épouvantable discours ?

Phèdre. — Impossible, pour peu que ce que tu dis soit la vérité.

Socrate. — Quoi donc ! Amour n’est-il pas à ton jugement le fils d’Aphrodite, et un dieu ?

Phèdre. — En tout cas c’est assurément la tradition[3].

    déclaration de Socrate une menace : sa réponse est celle qu’on fait par antiphrase au messager d’une bonne nouvelle (cf. 243 b fin).

  1. Je garde, bien que contesté, le texte traditionnel : la voix intérieure vient d’une source divine ; aussi donne-t-elle à l’âme qui l’entend une divination (cf. 244 a-245 c la suite d’idées qui aboutit à étudier la nature de l’âme ; Notice p. cxxxi sq.), d’ailleurs toute personnelle ; jamais elle ne fait que détourner Socrate d’agir (Apologie 31 d).
  2. De Rhégium (milieu du ive s.) ; fr. 51 Bergk.
  3. Il n’est pas impossible que la réplique (cf. aussi infra) soit une