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PHÈDRE

rhétorique est un art créateur. À ses yeux, le meilleur technicien est celui qui, parlant comme l’exigent le sujet et les circonstances, sait renouveler un sujet ; qui est capable d’inventer une façon de le présenter différant entièrement de celles auxquelles on a eu recours avant lui ; il saura notamment rapetisser ce qui est grand et grandir ce qui est petit ; il donnera à l’antique (par ex. la politique de Thésée) un air de nouveauté et à ce qui est nouveau un air d’antiquité (C. Soph. 12 sq. ; Panég. 8 ; cf. Hél. 35 sq.). Or, on doit reconnaître que c’est difficile lorsqu’on parle sur un sujet connu ; que ce talent est avant tout un don naturel, lequel peut à la vérité se développer par l’éducation (Hél. 13 ; cf. Philippe 84 fin, C. Soph. 14 sq.). Mais finalement ce pouvoir de création se réduit à choisir dans chaque cas les « formes » oratoires (ἰδέαι) les mieux appropriées, à les mélanger entre elles et à les ordonner ou les arranger comme il faut, en donnant à la langue du rythme et de l’harmonie, sans tomber pourtant dans le style poétique (C. Soph. 16 sq. ; Antid. 46 sq. ; Évagoras 8 sq.) Chacune de ces thèses impose le souvenir de quelque proposition du Phèdre, qui en est l’exact contrepied. Qu’on interprète comme on voudra cette symétrie dans le contraste : je me borne à la constater. Ainsi, ce n’est pas de sa faute si Socrate a abusé du style poétique (257 a) ; quand sur le sujet on a dit ce qu’il y a à dire, il est bien inutile de le reprendre sous des formes différentes ; et se croire alors à même de dire autre chose, c’est le fait, non pas du meilleur technicien, mais d’un écrivain au-dessous même du médiocre ; s’il n’est question que de tourner les choses autrement, c’est simple affaire d’arrangement et il n’y a pas là la moindre parcelle d’invention (234 e-235 b, d-236 a), pas plus qu’il n’y a de mirifique découverte à changer l’apparence des choses pour tromper sur leur réalité (267 ab ; cf. p. cxlvi).

Nous touchons ici à une opposition aussi nette que profonde : à quoi doit avoir égard l’orateur ou l’écrivain ? est-ce à l’opinion de ceux qui l’écoutent ou le lisent, à la δόξα ? est-ce au savoir et à la connaissance du vrai, ἐπιστήμη ? À entendre le langage que Platon fait tenir à la Rhétorique et aux rhéteurs, la réponse ne saurait être douteuse : « Apprenez, si vous voulez, à connaître la vérité par ce qui s’appelle le savoir : que ce soit du moins au commencement, et sans vous attarder à une étude