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PHÈDRE

Une fois qu’on les aura dénombrées, on se posera à propos de chacune les mêmes questions qu’on se serait posées à propos de l’objet s’il avait été simple. Voilà donc ce que commencera par faire la rhétorique à propos de l’âme, son objet (270 c-271 a, cf. 277 b).

L’étendue de son domaine.

Mais est-il possible de se faire une idée suffisante de la nature de l’âme indépendamment de la nature du Tout ? Non, si le dire d’Hippocrate est vrai, et que ce soit impossible même en ce qui concerne seulement le corps[1]. C’est qu’en effet, ainsi que Platon vient de le montrer (269 e sq.), tout art important, c’est-à-dire sans doute tout art qui n’est pas un métier manuel, exige en quelque sorte de se dépasser lui-même : autrement, il est impossible d’en comprendre la portée et les relations. L’éloquence de Périclès a dû beaucoup au hasard qui sur sa route mit Anaxagore, savant et philosophe. Si donc la rhétorique veut être un art qui compte, il faut qu’elle ne s’enferme pas dans le cadre de sa spécialité, il faut qu’elle ait la tête en l’air, qu’elle ne craigne pas de jeter les regards au delà de son horizon borné (cf. p. cxvi). On voit à quel point tout cela est loin de la rhétorique usuelle, qui ne songe qu’à grossir ce fatras de procédés et de formules dont est faite sa routine. — Ce n’est pas cependant la seule signification qu’il y ait lieu de donner à cette remarque incidente ; le passage sur Périclès et Anaxagore n’est pas non plus le seul qui l’éclaire. Doutera-t-on en effet que le second discours de Socrate, cet « hymne mythologique » d’où n’est pas absente la force persuasive (265 bc), soit un échantillon de la vraie rhétorique, de celle qui se fonde sur la philosophie ? Or l’âme n’y est pas conçue seulement comme individuelle, ce qui est le cas quand il s’agit de celles de chacun des astres-dieux, ou encore à pro-

  1. Pour savoir à quel point ce passage a embarrassé et divisé les érudits, on n’a qu’à lire la très intéressante revue qu’a faite A. Diès de ces discussions (en 1912) et qu’il a réimprimée dans le vol. I de Autour de Platon (p. 30-45). On comprendra que je ne puisse m’arrêter sur ce problème, dont tant d’efforts divergents semblent prouver qu’il est actuellement insoluble. Au surplus, si l’importance en est peut-être grande pour la question hippocratique, il n’en est pas de même en ce qui concerne l’intelligence de la pensée exprimée par le Phèdre.