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NOTICE

surplus, à la peinture passionnée d’un amour sensuel perverti, Platon ne manque pas d’entremêler des traits où se marque la réprobation : au milieu des pires emportements de la passion surgissent dans l’âme du coursier docile ou dans celle du cocher des sentiments de honte, de respect, de pudeur (254 a-e, 256 a).

Dès lors, on le comprend, il n’y a plus place dans le Phèdre pour une discipline progressive de l’amour conçue comme une méthode particulière, ainsi que cela se voyait dans le Banquet. Ce que Platon cherche maintenant à créer, c’est une nouvelle « psychagogie », une méthode philosophique générale pour conduire les âmes par la vérité à la vérité, en opposition à la fausse « psychagogie » des rhéteurs, qui ne vise qu’à la persuasion par la vraisemblance. C’est dans le même esprit que sont précisées certaines suggestions du Banquet : il y était question de l’éloquence que déploient l’homme né pour être un éducateur ou celui qui montre à gravir les échelons de l’amour (209 c ; 210 ac). À la fin du Phèdre cette idée se définit dans une apologie fervente de la parole de vérité, celle où s’exprime la vie d’une âme soucieuse de déposer des semences choisies dans des âmes aptes à les recevoir, préparées à cette fin et dans lesquelles ces semences puissent fructifier, pour se resemer à leur tour dans d’autres âmes ; ainsi une existence impérissable sera assurée à l’âme même dont la pensée leur a donné la vie (276 b, sq., 277 e-278 b). On pouvait deviner dans le Banquet que Platon songeait au lieu d’amour qui doit dans son École unir les disciples au maître qui les guide. Ici on voit ce qu’il espère : c’est la pérennité de l’action que son enseignement a exercée sur les âmes qu’il a lui-même conquises en les aimant et en s’en faisant aimer.

En résumé, si sur la doctrine de l’amour le Phèdre n’apporte rien qui soit à proprement parler nouveau, en revanche il l’a transformée du fait qu’il y a incorporé une théorie de l’âme, dont le retentissement est profond sur l’ensemble de sa philosophie. La raison en est, je crois, celle que j’ai déjà indiquée (cf. p. c sqq.) : dans le Phèdre, au lieu d’envisager l’amour dans son essence et de transfigurer la mythologie, il a voulu surtout y voir le drame intérieur de l’âme tout entière, avec la diversité des motifs et des mobiles qui, en elle, s’unissent à la pensée réfléchie, avec toutes les péri-