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PHÈDRE

blique a dessiné le plan. Bien plus, c’est du pire des maux que sortira ce bien décisif ; car pour le réaliser, telle est la conviction obstinée de Platon (Lois IV 709 e), la philosophie devra commencer par apprivoiser celui dont le Phèdre a fait le dernier des réprouvés : le tyran.

Mais que faut-il au philosophe pour se faire l’initiateur de cette œuvre grandiose et redoutable ? Sans doute cette vocation éducatrice, ce désir divin de féconder pour toujours d’autres âmes par son enseignement en les unissant à la sienne et entre elles par un amour dont la philosophie est la substance. Voilà en effet ce qui caractérise l’homme dont le Banquet (209 bc) fait le portrait enthousiaste, et en lui on reconnaît le loyal « ami du savoir » du Phèdre, celui qui est aussi un ami de la Beauté, qui donne la rectitude à l’amour de la jeunesse et dont la parole enfin est une semence toujours vivante et active (248 d, 249 a déb., 276 e sq.). À la racine de la réforme sociale d’où naîtra le salut, il y a donc une inspiration divine et l’amour qui en est la plus magnifique manifestation. Ainsi l’âme ne peut se relever de sa déchéance que par le moyen d’une dispensation ou grâce divine, d’une θεία μοῖρα, par laquelle un homme devient, pour un temps plus ou moins court, capable de se dépasser lui-même[1]. Quand de la sorte ils prennent « possession » de nous, les dieux témoignent qu’à notre égard ils ne connaissent point l’envie (p. lxxxiv n. 1) : c’est un rayon de leur lumière qui vient se réfléchir sur nous et par lequel nous sommes transfigurés. Enfin, si toute possession divine apporte aux hommes un remède à quelqu’une des misères de leur condition, la précellence de celle qui consiste dans l’amour associé à la philosophie et se confondant même avec elle, est due à ce qu’elle les guérit de la misère d’être des hommes. Il est donc très important de comprendre, et comment s’opère la possession d’une âme humaine par un dieu, et pourquoi elle nous élève au-dessus de nous-mêmes. — Qu’on se rappelle cette étrange physique de la communication de l’amour, dont la doctrine du contre-amour

  1. Le principal exposé s’en trouve dans le Ménon 99 b sq. Mais on la rencontre aussi dans l’Apologie 22 bc, dans l’Ion 534 bc, dans le Banquet 203 a, même dans les Lois III 682 a, IX 875 c ; et le Phèdre s’en souvient très évidemment 244 a, c, sq., 245 c ; cf. 230 a et 256 b.