Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 3 (éd. Robin).djvu/128

Cette page a été validée par deux contributeurs.
cxviii
PHÈDRE

dans le Phédon (68 c, 82 c), et déjà dans le Gorgias (493 ab)[1] ? Pour les y trouver il faut à la vérité beaucoup de complaisance : distinguer entre l’ami des richesses et l’ami des honneurs pour les opposer ensemble au philosophe, comparer à un tonneau percé ce qui dans l’âme est le siège des désirs, tout cela, d’ailleurs banal[2], est bien loin de la conception définie qui est en question. Encore doit-on même ajouter que, dans le second de ces passages, Platon se réfère expressément à une doctrine orphico-pythagorique. Il est difficile d’autre part de n’être pas frappé de l’insistance avec laquelle Platon introduit cette conception comme une découverte à laquelle l’a conduit la division de la Cité en trois classes (435 bc, 436 ab). On ne peut du moins douter que le cocher de l’attelage de l’âme dans le Phèdre soit ce que la République appelle raison ou fonction de réflexion (λόγος, τὸ λογιστικόν) ; que le bon cheval soit le « cœur » au sens moral du mot, ou ce que nous nommerions fonction inhibito-motrice (ὁ θυμός, τὸ θυμοειδές) ; le mauvais cheval enfin, les appétits et les désirs (τὸ ἐπιθυμητικόν). Que ce soient dans sa pensée des parties ou des aspects (εἴδη) de l’âme, peu importe : le vocabulaire de Platon n’est pas sur ce point bien fixé. Ce sont en tout cas si bien des fonctions distinctes que le mythe du Phèdre, tout en les faisant solidaires, n’hésite pas à les individualiser. Cette tripartition, on le verra plus loin, se retrouve, notablement modifiée il est vrai, dans le Timée, mais avec la même disposition à séparer les trois fonctions : séparation anatomique cette fois, puisque, comme on sait, la raison se loge dans la tête, le « cœur » dans la poitrine au-dessus du diaphragme, les appétits concupiscibles au-dessous et dans l’abdomen jusqu’à la hauteur du nombril.

Simplicité et composition

Or ce n’est pas du tout ainsi que le Phédon se représentait l’âme. En raison de sa ressemblance avec les essences absolues, qui prouve qu’elle leur est apparentée, elle possède l’unicité formelle (μονοειδές) qui justement caractérise ces réalités ; par là elle est le contraire du corps, qui est une pluralité formelle, étant essentiellement un composé. Ce qui

  1. Ainsi que le font Burnet, Aurore etc. (Early Gr. Ph.) p. 319, n. 3 et A. E. Taylor, Plato p. 120, n. 1.
  2. Voir Zeller, Phil. der Griechen, II i⁴, p. 846, n. 1.