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NOTICE

Légendes

Quand Phèdre, au début du dialogue (229 b sqq.), demande à Socrate s’il croit à la légende de l’enlèvement d’Orithye par Borée, celui-ci rejette résolument l’interprétation rationaliste de cette légende comme de toute autre. Mais, s’il leur donne leur congé, ce n’est point du tout pour les repousser elles-mêmes ; c’est au contraire pour leur laisser libre carrière en leur souhaitant bonne chance, à l’inverse de ces esprits tracassiers qui ne leur permettent pas d’aller leur chemin. Ce qui importe en effet à ses yeux, ce n’est pas de dépouiller ces légendes de l’illusion qu’elles enferment, c’est de s’en dépouiller soi-même afin de se connaître et de savoir ce qu’on vaut. Et il ajoute (230 a), comme en exemple, que par comparaison la fable de Typhon, le géant fumant d’orgueil, pourrait aussi bien l’éclairer sur ce qu’il est, que le ferait une autre légende où il s’agirait de quelque animal pacifique et voué à une destinée divine. En d’autres termes ces mythes traditionnels sont autant de suggestions dont il faut tirer parti pour pénétrer dans sa propre conscience d’un regard plus clairvoyant et pour y apercevoir une vérité. Le sens me paraît donc être le même que dans le prologue du Phédon (61 b, cf. 60 bc) : pour obéir à l’ordre du songe Socrate a composé en vers ; or un poète digne de ce nom doit être capable de créer des fables, mais c’est un talent qu’il n’a point ; aussi prend-il où il peut son bien, dans les fables d’Ésope qu’il sait par cœur. Et voici du reste qu’à l’imitation de ces fables traditionnelles il en a imaginé une qui mettrait en évidence, d’une façon dramatique et sensible, les rapports qui en chacun de nous unissent le plaisir et la douleur.

et fictions.

Il appartient donc au philosophe d’inventer des fables sur le modèle de celles qu’a léguées la tradition et pour les faire servir au même genre d’instruction. C’est ce que Platon paraît avoir fait ici dans le mythe des Cigales (258 e sqq.) et dans le mythe de Theuth (274 c sqq.). Le premier n’appartient pas, que nous sachions, à la tradition ; en l’analysant on verra peut-être quelles raisons a eues Platon de l’imaginer. Or il y a une idée qu’il a exprimée avec force dans le Phédon et dans le Banquet[1] :

  1. Phédon, par ex. 66 a, 67 a, 68 b, 82 d, 83 bc ; Banquet 174 d, 175 ab, 176 c, 220 cd.