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PHÈDRE

face de l’amour, de l’éros, qui en a été le principe et dans lequel il y avait naturellement plus de vigueur : voilà pourquoi « amitié », et non point « amour », est seulement le nom que tout d’abord l’aimé donne à ce qu’il ressent (cf. 255 a 3[1]). Comme cependant les témoignages qu’il donne de cette amitié sont particulièrement chaleureux, il arrivera forcément que le cheval vicieux de l’amant en prendra avantage pour essayer de circonvenir son cocher en vue d’obtenir les jouissances qu’il convoite. Celui de l’aimé en revanche ne sait que dire, puisque l’âme de l’aimé ne s’explique pas ce qu’elle éprouve ; et pourtant le désir dont elle surabonde l’incite à manifester à celui en qui elle voit simplement un ami une brûlante tendresse, expression imparfaite d’une gratitude infinie. Pour peu qu’on le presse, l’aimé est donc sur le point de succomber. Mais voici qu’interviennent alors la réserve naturelle au bon cheval et la réflexion propre au cocher : leur résistance préservera l’aimé de la chute définitive[2].

    désirait » (trad. Paul Mazon). Mais cette émulation, où l’amant et l’aimé rivalisent à qui sera le plus amoureux l’un de l’autre, peut aussi se produire entre deux personnes qui aiment une même chose : ainsi dans ce passage de la République (VII 521 b) où Platon, par rapport à la possession du pouvoir, met en face les uns des autres les amoureux et les contre-amoureux, c’est-à-dire des rivaux qui se disputent un commun objet, extérieur à eux-mêmes. Dans le dialogue pseudoplatonique intitulé Antérastaï, la rivalité est au contraire entre deux amants qui aiment des choses différentes, l’un la philosophie, et l’autre les exercices physiques, chacun s’efforçant de convaincre son aimé de la supériorité de la chose qu’il aime. Il y a donc du mot antéros plusieurs acceptions, qui se rattachent à la diversité des sens de anti : ce préfixe marque en effet aussi bien réciprocité et échange qu’opposition et antagonisme.

  1. Ceci pour faire voir que la confusion des deux choses dans le discours de Lysias 232 e-233 d n’était en réalité qu’une méprise sur la dénomination.
  2. Cette partie de l’analyse évoque le souvenir, dans le Banquet, de la scène de « tentation » (218 b-219 d) : Alcibiade, amoureux de Socrate bien qu’il en croie être l’aimé, voit ses entreprises conquérantes échouer devant la raison et la réserve d’un homme pour qui l’amour, celui dont il est l’objet aussi bien que celui qu’il donne, dépasse le plan de la sensualité.