Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 1 (éd. Robin).djvu/130

Cette page a été validée par deux contributeurs.
68 e
20
PHÉDON

les dominent. On a beau appeler dérèglement une 69 sujétion à l’égard des plaisirs, mais c’est un fait pourtant : ces gens-là subissent la domination de quelques plaisirs et c’est ainsi qu’ils en dominent d’autres. Or cela ressemble bien à ce qu’on disait tout à l’heure : c’est en quelque façon un dérèglement qui est le principe de leur tempérance ! — Vraisemblablement, en effet.

— Peut-être bien en effet, excellent Simmias, n’est-ce pas à l’égard de la vertu un mode correct d’échange, que d’échanger ainsi des plaisirs contre des plaisirs, des peines contre des peines, une crainte contre une crainte, la plus grande contre la plus petite, tout comme s’il s’agissait d’un échange de monnaie ; peut-être au contraire n’y a-t-il ici qu’une monnaie qui vaille et en échange de laquelle tout cela doive être échangé : la pensée[1] ! b Oui, peut-être bien est-ce le prix que valent, ce avec quoi s’achètent et se vendent authentiquement toutes ces choses-ci : courage, sagesse, justice ; la vertu vraie en somme, accompagnée de pensée, que s’y joignent ou s’en disjoignent plaisirs, craintes et tout ce qu’il y a encore de pareil ! Que tout cela soit d’autre part isolé de la pensée et objet d’échange mutuel, peut-être bien est-ce un trompe-l’œil qu’une semblable vertu : vertu réellement servile, où il n’y a rien de sain ni de vrai ! Peut-être, bien plutôt, la réalité vraie est-elle qu’une certaine purification de toutes ces passions

    vertu-là n’a que l’apparence de la vertu ; c’est un vrai trompe-l’œil (69 b), car elle ne nous rend pas meilleurs.

  1. La vertu vraie, au contraire de la vertu populaire, consiste à échanger plaisirs, peines ou craintes contre la pensée, seule monnaie qui vaille pour acheter la vertu et ainsi devenir meilleur ; l’échange alors ne trompe pas. Quelles que soient, dans le détail, les difficultés d’interprétation du passage, il explique très bien ce qu’a dit Socrate au début du développement (68 bc) : si le philosophe ne craint pas la mort, c’est qu’en échange de la vie il libère son âme et acquiert l’exercice entièrement indépendant de la pensée ; s’il est tempérant, c’est qu’en échange de la renonciation aux plaisirs du corps il obtient, dans la mortification, la plus haute aptitude possible à se purifier par l’exercice de la pensée. Tout ce qui précède, à partir de 64 b, prépare cette conception de la vertu fondée sur la pensée pure ; celle-ci sera elle-même définie 79 d. Comparer République IV, 441 c-444 a ; Théétète 176 a-d ; Lois I, 631 c.