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réellement en groupes et rendent possible la constitution d’un monde d’objets persistants (p. 339) ; mais dès que nous voulons pénétrer un peu plus profondément la nature des choses, nous voyons ce monde se dissoudre (p. 340). Dira-t-on que cette seconde évolution appartient déjà à la science ? Sans doute, mais nous avons vu qu’il y a, à ce point de vue, entre la science et le sens commun une continuité absolue. Par le fait, l’atomisme appartient à l’aube de la pensée humaine, sens commun, science et métaphysique se confondent en lui pour ainsi dire.

La science, en progressant, n’abolit pas l’atomisme ; elle le développe et le précise au contraire. Mais, en même temps, elle pose aussi la conception antagoniste, par le principe de Carnot. En d’autres termes, elle tend à la fois à l’abolition de la réalité et à son affirmation. En elle, les deux tendances philosophiques opposées coexistent paisiblement. C’est donc qu’au point de vue métaphysique, on ne peut en tirer aucune conclusion allant au delà de l’énoncé d’Hermotime convenablement modifié.

Remarquons que nous répétons ici sous une autre forme cette proposition que jamais une théorie ne sera vraie tout simplement (p. 375). En effet, la théorie recherche une réalité se trouvant derrière celle du monde du sens commun, et il en résulte que l’être créé par la théorie ne saurait être considéré comme une chose en soi. Cependant, on a quelquefois attribué à des énoncés de ce genre un sens très différent. En déclarant que les hypothèses ne pouvaient se transformer en réalités, qu’elles n’étaient de leur nature ni vraies, ni fausses, qu’elles étaient par essence invérifiables — propositions parfaitement exactes si on les applique à la totalité de nos suppositions sur le monde extérieur — ou a voulu affirmer une différence fondamentale entre le monde des théories et celui du sens commun. Or, cette différence, nous l’avons reconnu, n’existe pas à ce point de vue ; et si, sous le terme de réalité, on comprend non pas celle de la chose en soi, mais celle de l’objet sensible tel que le conçoit le sens commun, la proposition devient certainement inexacte. D’abord, au point de vue historique, il est aisé de démontrer que des théories ont dû passer dans le sens commun. Le son n’apparaissait certainement point, à nos ancêtres très reculés, comme une vibration ; mais les hommes ont appris depuis bien longtemps à voir, à sentir ces vibrations dans certaines conditions et l’on ne saurait contester, semble-t-il,