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Pour M. Duhem, ces déductions indiquent qu’il y a une étroite solidarité entre les faits scientifiques d’un chapitre entier de la physique et même de divers chapitres. Noos croyons qu’elles nous font voir en outre à quel point le physicien est étroitement attaché au concept de chose. Qu’est-ce en somme qu’étudie l’électricien pendant l’expérience décrite 7 Il étudie un courant électrique ; pour lui, ce courant et la « résistance » que lui oppose la bobine sont certainement réels. L’homme ignorant la physique, qui le regarde faire, n’y comprend rien. Pour lui, ce qui se passe est un phénomène qui met simplement en jeu le barreau de fer, le miroir, etc., tous objets du sens commun ; mais comme il ignore les théories électriques, il ne peut apercevoir l’objet qui est en réalité le seul observé par le physicien : le courant. Et l’on voit pourquoi il est impossible d’énoncer cette expérience sans faire parler l’hypothèse : c’est que l’expérience se rapporte à une chose créée par celle-ci ; et, bien entendu, l’énoncé, quand on le formulera, impliquera un acte de foi en une théorie, car il se rapportera à l’objet dont l’existence fait le fond de l’hypothèse en question ou même d’un ensemble d’hypothèses.

Dira-t-on que la théorie ne pose pas réellement l’existence de ces objets, que ce sont là simplement des termes faits pour indiquer un ensemble de phénomènes ? Nous avons vu plus haut (p. 44 ss.) que l’attitude entière de la science proteste contre une supposition de ce genre. Observons d’ailleurs que cette supposition est entièrement analogue à celle que des métaphysiciens ont formulée pour nier que le sens commun comporte l’affirmation de quoi que ce soit en dehors de notre conscience (p. 332). Le courant électrique sera donc encore une « possibilité permanente de sensation ». Mais cette conception sera, dans ce cas, tout aussi insuffisante que dans le cas d’un objet du sens commun ; et ce sera vouloir faire violence au sentiment profond de l’électricien, comme tout à l’heure à celui de l’homme naïf. Cachez le galvanomètre au moyen d’un écran et demandez à un électricien si le courant passe. Il croira peut-être que vous vous demandez si un interrupteur n’a pas été tourné par mégarde et vérifiera ce dernier ; mais il se peut aussi qu’il ait des doutes sur le fonctionnement de ses piles et, dans ce cas, il demandera à voir le galvanomètre. Insistez : expliquez que vous lui demandez s’il croit que le courant a cessé de passer du fait seul qu’il ne peut voir le galvanomètre. Si l’homme auquel vous vous adressez n’a