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de franchise, notamment pour le concept de l’ « énergie potentielle » (voir p. 173).

La chimie, bien entendu, n’ignore pas entièrement cette difficulté, d’autant plus apparente que nous connaissons parfois un élément sous plusieurs formes équivalentes qu’où appelle ses états allotropiques. À supposer qu’il soit réellement contenu dans une combinaison, lequel de ses différents états y revêt-il ? Les théoriciens se tirent de toutes ces énigmes à l’aide d’une équivoque. L’élément contenu dans une combinaison est « atomique ». Aussitôt dégagé, ses atomes se réunissent en molécules ; il n’y a donc rien d’étonnant qu’il manifeste alors de tout autres propriétés. Ce subterfuge nous fait voir clairement qu’il s’agit en réalité d’un pur concept métaphysique, puisqu’il est entendu que cet « élément atomique » qui est le vrai élément, du moment que c’est le seul qui entre dans des combinaisons et qui y persiste, est radicalement différent du corps que nous connaissons sous le même nom et qu’il ne pourra jamais être véritablement isolé, ni par conséquent aperçu. C’est donc quelque chose d’analogue, à ce point de vue, au soufre ou au mercure tels que les concevaient les chimistes du xviie siècle.

Il est certain que notre hypothèse actuelle répond à un nombre infiniment plus grand de faits, et surtout s’y adapte d’une manière beaucoup plus précise, suivant la matière et l’énergie de près dans leurs avatars, contrôlant les données à l’aide d’instruments de mesure ; mais les explications qu’elle nous donne, ou plutôt qu’elle nous promet, sont bien moins précises. Revenons aux trois équations de l’oxyde de mercure (chap. vi, p. 202 ss). Pour un phlogisticien, il était tout naturel que le mercure précipité per se donnât du mercure métallique, puisque le phlogistique, principe de la « métallicité », venait s’y ajouter. Actuellement, nous avons le choix entre deux sortes de conceptions. Ou bien nous admettons les éléments chimiques comme ultimes, et alors il n’existe aucun lien véritable entre les divers métaux et l’analogie entre leurs propriétés est par essence inexplicable, à plus forte raison est-il inexplicable que ces propriétés apparaissent à un moment donné. Ou bien nous supposons qu’ils sont des composés d’un ordre particulier, et nous pouvons alors espérer que nous apprendrons un jour pourquoi la matière qui les compose manifeste en eux ces propriétés métalliques ; mais cette explication nous paraît très vague et très lointaine. L’ex-