Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

superflu de faire ressortir qu’il ne s’agit pas là d’une opinion particulière aux savants contemporains. Le passage que nous venons de citer n’est que la paraphrase de ce que Leibniz, avec autant de précision et plus de pittoresque, a dit dans la Monadologie : « On est obligé, d’ailleurs, de confesser que la perception et ce qui en dépend, est inexplicable par des raisons mécaniques, c’est-à-dire par les figures et les mouvements. Et feignant qu’il y ait une Machine dont la structure fasse penser, sentir, avoir perception ; on pourra la concevoir agrandie en conservant les mêmes proportions, en sorte qu’on y puisse entrer, comme dans un moulin. Et cela posé on ne trouvera en la visitant au dedans que des pièces qui poussent les unes les autres et jamais de quoi expliquer une perception[1] ». Tout cela d’ailleurs était virtuellement contenu dans le passage de Démocrite qui nous a été conservé par Sextus Empiricus : « car c’est par l’opinion et la convention, dit-il, qu’est le doux et l’amer, par l’opinion le chaud et le froid, par l’opinion la couleur ; mais vraiment sont les atomes et le néant[2]. » Comme le dit M. Bergson, « il est de l’essence du matérialisme d’affirmer la parfaite relativité des qualités sensibles[3]. »

Mais si la science moderne n’a rien innové à ce point de vue, il est incontestable que ses découvertes ont confirmé d’une manière assez éclatante les théories en question. Que la chaleur, la lumière ne puissent être qu’un mouvement de particules, cela résulte sans doute (chap. ii, p. 85), des conceptions aprioriques qui constituent le fond du mécanisme, et Descartes, en le proclamant hautement, ne s’est fondé que sur ces conceptions. « Mettez-y du feu, mettez-y de la chaleur et faites qu’il brûle tant qu’il vous plaira, si vous ne supposez point avec cela qu’il y ait aucune de ses parties qui se remue, ni qui se détache de ses voisines, je ne saurais imaginer qu’il reçoive aucune altération ni changement[4]. » Spinoza et Leibniz ont de même (p. 235) affirmé que l’axiome « tout est mouvement » ne peut être démontré que par des raisons aprioriques et non pas par des expériences. Il n’empêche que les phénomènes de l’interférence et de la

  1. Leibniz. Monadologie, Œuvres, éd. Erdmann, § 17.
  2. Mullach. Fragmenta philosophorum græcorum. Paris, 1860, p. 357.
  3. Bergson. Matière et Mémoire. Paris, 1903, p. 66.
  4. Descartes. Le monde, Œuvres, éd. Cousin. Paris, 1824-26, p. 91.