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trante ; la loi purement empirique semble extérieure à la fois aux choses et à notre esprit, impénétrable, opaque. Seules les règles qui affirment l’identité, qui en découlent ou qui y conduisent, nous paraissent adéquates à la fois à l’essence des choses et à notre entendement, saisissables ; ce sont les seules que nous connaissions « en toute lumière ». Et l’on voit aussi que la science ainsi définie par le grand mathématicien est tout autre chose qu’un ensemble de règles empiriques. Elle est l’effort de l’esprit vers la compréhension, de l’entendement vers l’entente des choses, effort qui est la fonction normale de l’entendement et qui ne saurait s’accomplir qu’à l’aide du principe de l’identité dans le temps.

Ainsi ces équations chimiques sont bien, au fond, l’expression de la tendance à identifier les choses dans le temps ; on peut dire aussi à éliminer le temps. En effet, supposons que le processus d’identification continue et que nous parvenions réellement à mettre en équation le phénomène entier, à identifier complètement l’antécédent et le conséquent ; tout s’est conservé, tout est resté en l’état, c’est-à-dire que le temps n’a exercé aucune influence. Sans doute, nous savons d’avance cette identification complète impossible. Mais, partiellement, nous pouvons vérifier à l’aide de nos équations qu’il en est bien ainsi. Les matières élémentaires qui existaient avant le phénomène ont subsisté après : de ce côté il n’y a pas eu de changement. Le poids est également resté le même : là encore rien n’est modifié. Enfin l’énergie aussi s’est conservée. En somme, aussi loin que va notre explication, il ne s’est rien passé. Et comme le phénomène n’est que changement, il est clair qu’à mesure que nous l’avons expliqué, nous l’avons fait évanouir. Toute partie expliquée d’un phénomène est une partie niée.

Restent, il est vrai, les phénomènes du déplacement. Ils sont, nous l’avons vu, privilégiés par leur nature même en ce que nous pouvons, selon qu’il nous convient, les considérer tantôt comme impliquant un changement, et tantôt comme conservant l’identité. C’est même sur cette particularité que repose toute possibilité d’identification causale et, dans nos équations, nous n’avons également fait autre chose qu’user de ce moyen, en supposant que les masses élémentaires et l’énergie, tout en restant identiques à elles-mêmes, se dépla-

    par suite d’une confusion analogue à celle que nous avons signalée chez Hertz (cf. plus haut p. 28 et 199).