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la conservation de l’énergie peut alors être déduite par voie mathématique. Nous avons discuté plus haut (p. 63) la légitimité de cette hypothèse : nous avons vu qu’elle ne correspond point à la réalité des choses. Mais faisons abstraction pour le moment de ces objections ; qu’est-ce que la supposition de corps ou de particules discrètes exerçant des forces immuables dans le temps ? C’est, nous l’avons vu, une forme de l’hypothèse mécanique, c’est-à-dire une conception purement causale, une image du monde créée de toutes pièces uniquement en vue de satisfaire notre tendance à conserver l’identité dans le temps. Au fond de cette démonstration il n’y a donc pas autre chose que l’identité entre l’antécédent et le conséquent, la cause et l’effet, tout comme chez Leibniz et chez Mayer.

L’impossibilité du mouvement perpétuel a été affirmée de bonne heure. Léonard de Vinci se sert de ce principe[1], et de même Cardan[2]. Galilée affirme qu’on ne peut créer un tel mouvement à l’aide des machines simples (voir plus haut p. 170). Toutefois, ce n’est pas là pour lui un principe indépendant, il le déduit des conditions du fonctionnement de ces machines. Un peu plus tard, Stévin se sert au contraire de cette impossibilité, qu’il considère comme évidente par elle-même, pour déduire les règles des machines. Stévin suppose une chaîne sans fin posée sur un triangle à côtés inégaux et dont la base est horizontale. Les deux parties de la chaîne, posées sur les côtés inclinés, doivent nécessairement se faire équilibre ; car la partie qui pend en bas, étant symétrique, ne saurait exercer aucune influence ; et si une des parties de la chaîne avait le pouvoir de tirer le système de son côté, comme, après ce mouvement, la même situation se reproduirait « ce mouvement n’aurait aucune fin, ce qui est absurde[3] ». Leibniz s’est servi de l’impossibilité du mouvement perpétuel pour la démonstration de la conservation de la force vive[4] et Huygens aussi en a fait usage[5]. Sadi Carnot la place également à la base de la démonstration de son prin-

  1. Cf. Duhem. Les origines de la statique, p. 21.
  2. Ib., p. 58.
  3. Stévin. Œuvres mathématiques, trad. Gérard. Leyde, 1634, p. 448. — Cf. Duhem, l. c., p. 266 ss.
  4. Cf. notamment Leibniz. De legibus naturæ et vera æstimatione virium motricium. Mathem. Schriften, vol. VI, p. 204 ss.
  5. Cf. Lettre de Huygens, ib., vol. I, p. 140.