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fermeté inflexible, ils se serrent de près et en viennent aux mains. Ils se mordent à belles dents, ils se déchirent avec les ongles, semblables aux animaux féroces qui ne connaissent point la pitié.

D’un pas pressé et tout en sueur, s’avançait l’auteur de la Picara Justina, chapelain laïque du camp ennemi ; et avec la puissance de jet d’une coulevrine, il lança son énorme livre, qui fit parmi les nôtres d’horribles ravages. Le bon Tomas Gracian en devint manchot, Medinilla y perdit une molaire et un bon morceau d’une cuisse.

Une de nos sentinelles, fort alerte, cria : « Baissez tous la tête ; voici que l’ennemi lance un autre roman. »

Deux champions s’engagent dans un combat singulier : l’un d’eux, avec une adresse sans pareille, avec un acharnement insensé, fait si bien, que par un dernier effort, il parvient à enfoncer dans la bouche de son adversaire, six séguidillas ; c’en fut assez pour lui faire rendre l’âme et la dégager de son étroite prison.

D’un côté l’ardeur furieuse, de l’autre, le calme inaltérable maintenaient l’incertitude du résultat ; la palme de la victoire se balançait indécise. Mais voilà que le corbeau de l’étendard ennemi, le cœur percé de part en part, tombe et cède la place à la bannière du cygne. Le porteur du sombre drapeau, un jeune garçon Andaloux, poëte improvisateur, dont l’orgueil s’élevait par-delà les nues, sentit aussitôt son sang se glacer ; il