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ges. Tu as porté jusqu’au ciel la fortune de plusieurs qui reposaient au sein de l’oubli, privés de la lumière du soleil et de celle de la lune. Il n’a été ni appelé ni élu le grand pasteur d’Ibérie, le grand Bernardo surnommé de La Vega. Tu t’es montré envieux, étourdi et sans discernement. Tu as lancé ta flèche aux nymphes et aux bergers du Hénarès, les traitant en ennemis, et pourtant, il y a dans ton troupeau des poëtes qui ne valent pas mieux et qui auront, en vérité, beaucoup à faire pour devenir meilleurs. Si pareil outrage ne me trouble point la judiciaire, je distingue d’ici sept faiseurs de couplets, gens de pacotille, comme on dit. Entre eux et l’élégance, le bon goût et l’esprit, il n’y a rien de commun, et tu les places nonobstant, à plus de deux lieues au-delà du paradis. Sois convaincu que ces imaginations et ces chimères tourneront un jour à ta honte, si tu ne mets quelque soin à t’amender. »

Cette menace peu courtoise remplit mon cœur d’une vive crainte, et épuisa ma patience. Et me tournant vers Apollon, avec une vivacité que j’étais loin d’attendre de mon âge, la voix altérée et le visage allongé, je lui dis : « Je vois bien, avec évidence, qu’à ton service je ne recueille que désagréments, avant-coureurs des malheurs à venir. Fais, ô Seigneur, que la liste que le dieu de Cyllène apporta avec lui en Espagne, soit lue publiquement, afin de montrer combien je suis peu coupable. Si c’est ta divi-