DE PARIS À BUCHAREST
CAUSERIES GÉOGRAPHIQUES[1].
XII
À ULM.
Nous venons d’entrer à Ulm par les hauteurs qui le dominent, le Michelsberg. Nous avons passé au travers d’une citadelle formidable et longé les remparts d’un camp retranché où 80 000 hommes tiendraient à l’aise. Dès que le chemin de fer m’eut rendu la liberté de mes jambes, je courus non pas à la vieille cité qui garde encore ses maisons de bois et ses rues tortueuses, ni à son Munster qui devait humilier celui de Strasbourg[2], ni à ses fortifications qui, sans faute, assure-t-on, humilieront un jour l’orgueil de la France, mais au Danube qui la baigne. J’avais hâte de contempler le vrai roi des fleuves de l’Europe.
Le Volga est plus long, mais il n’a ni la profondeur de ses eaux, ni la beauté de ses rives, et il aboutit à une mer fermée, sans être jamais sorti de la même domination. C’est un fleuve russe : jusqu’à présent il n’y a que le despotisme qui ait fleuri sur ses bords. Le Danube est un fleuve européen. Il naît à deux pas de la France et finit en face de l’Asie, entre Odessa et Constantinople. Il traverse deux duchés, Bade et Hohenzollern, deux royaumes, Wurtemberg et Bavière, deux empires, Autriche et Turquie, trois principautés, Servie, Valachie et Moldavie. L’esprit moderne est sur ses eaux, et, le long de ses rives, s’agitent des peuples nombreux qui veulent boire à la coupe de la vie.