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la comparaison. Mais aujourd’hui tout est bien changé. À la place où l’on ne voyait, en 1847, que l’humble demeure d’un agent de la compagnie de la baie d’Hudson, s’élèvent l’hôtel du Gouvernement, résidence de M. Douglas, des maisons en pierre, des cafés, qui payent jusqu’à 3000 fr. de patente. Le port, autrefois désert, est animé par de nombreux bateaux à vapeur qui partent pour les placers ou qui arrivent de Californie, chargés d’émigrants et de mineurs. De toutes parts règne l’activité ; les éléments de la civilisation s’agitent ; les spéculations industrielles enfièvrent les esprits, et l’on peut déjà pressentir, dans la jeune capitale de Vancouver, appelée à devenir un des grands entrepôts de la voie interocéanique, une future rivale de San Francisco.

Charles Gay.




VOYAGE EN HERZÉGOVINE[1],

1858
PAR M. GUILLAUME LEJEAN.
(Inédit.)


I

Un chapiteau du palais de Raguse. Départ pour l’Herzégovine. — Bergato. — Les quatre fils de Branivoi.
Chapiteau de l’église de Raguse. — D’après M. Lejean.

À mon retour de l’excursion au Monténégro que j’ai racontée il y a peu de temps[2], je dus rester à Raguse quelques semaines et j’en profitai pour étudier cette curieuse ville avec plus de soin que je ne l’avais fait jusque-là.

Ma première visite fut naturellement pour le palais ducal dont j’ai déjà parlé. Un officier autrichien d’excellentes manières, que j’y rencontrai, m’indiqua quelques sculptures grecques et romaines venues du Vieux-Raguse, l’ancienne Épidaure d’Illyrie, dont les ruines ont été utilisées par les Ragusains comme une carrière inépuisable. Il me parla spécialement d’un chapiteau représentant Esculape entouré des attributs de sa divinité bienfaisante, et qui semble être pour les Ragusains quelque chose d’analogue au Mannekenpiss des Bruxellois, un palladium séculaire de leur cité.

Je sortis pour voir ce chapiteau qui surmonte une des colonnes extérieures du palais, et je n’eus pas de peine à constater que l’Esculape en question était tout simplement un travail de même époque que le reste du palais, et n’était autre qu’un alchimiste fort occupé à surveiller les fourneaux et les cornues où s’opèrent les transmutations de métaux. Un livre, ouvert sur ses genoux, mais où ses regards ne s’arrêtent pas, est sans doute le manuel qui lui sert de guide. Sur une autre face du chapiteau, un homme fort simplement vêtu, qui tient une bourse, est sans doute un client ou plutôt un serviteur envoyé pour quérir quelque drogue. Il est impossible à un antiquaire de se méprendre sur ce monument, et le bénédictin Appendini, historien de Raguse et l’un des éditeurs responsables du prétendu Esculape, a donné là un pauvre spécimen de sa science archéologique.

Quant au palais lui-même, je parvins à en esquisser la vue intérieure (voy. p. 72), au grand scandale d’un gros fonctionnaire autrichien, qui crut devoir en prévenir le capitaine du cercle, en lui expliquant que peu auparavant un Anglais était venu copiare la casa, et que toutes les curiosités de voyageurs étaient fort suspectes. Le capitaine eut la bonté de lui expliquer qu’il n’était défendu de copier que les fortifications, et je pus reprendre mon dessin : mais je suis bien sûr que six mois plus tard, quand les échos de la guerre sont venus réveiller la paisible Dalmatie, le soldat a dû se féliciter de sa pénétration et accuser in petto la condescendance de son supérieur. Ce que j’ai remarqué de plus intéressant dans cette cour du palais, c’est le buste d’un citoyen ragusain, Michel Prazatto, qui vivait vers 1630. Le monument, renversé par le fameux tremblement de terre de 1667, fut rétabli

  1. Voy., p. 77, la carte du Monténégro qui contient l’Herzégovine.
  2. Voy. pages 69 et 81.