Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/509

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À la dure  [1]
CHAPITRE XIII
Mormons et Gentils. — Une boisson exhilarante et ses effets sur Bemis. — La Ville du Lac Salé. — Grand contraste. — Un vagabond mormon. — Conversation avec un Saint. — Visite au Roi. — Une comparaison bien trouvée.

Nous eûmes un bon souper composé des viandes, des volailles et des légumes les plus frais, en grande variété et en pareille abondance. Après, nous nous promenâmes un peu par les rues et nous jetâmes des coups d’œil à l’intérieur des boutiques et des magasins : c’était un ravissement que de dévisager à la dérobée les gens que nous prenions pour des Mormons. C’était pour nous un pays de féerie, sous tous les rapports, un pays d’enchantements, de latins et de mystère terrible. Nous éprouvions la curiosité de demander à chaque enfant combien il avait de mères et s’il pouvait d’affilée réciter leurs noms ; nous nous sentions tressaillir chaque fois que la porte d’une demeure s’ouvrait et se fermait à notre passage laissant entrevoir des têtes humaines, des dos et des épaules ; nous désirions tant avoir une bonne fois la contemplation d’une famille mormonne, dans toute sa compréhensive ampleur, disposée selon les cercles concentriques habituels de son foyer domestique !

Quelques moments plus tard, le gouverneur délégué du Territoire nous présenta à d’autres « Gentils » et nous passâmes une heure agréable avec eux. Les « Gentils » sont les gens qui ne sont pas Mormons. Notre compagnon de voyage Bemis, laissé à sa propre initiative pendant cette partie de la soirée, ne s’en tira guère avec un succès exorbitant, car il entra dans notre chambre d’hôtel vers onze heures, tenant un langage incohérent, entrecoupé et désordonné, et arrachant de temps en temps par la racine un mot qui contenait plus de hoquets que de syllabes. Joignant à cela qu’il accrocha son habit sur le plancher, à côté d’une chaise, et son gilet sur le plancher, de l’autre côté de la chaise, qu’il empila son pantalon

  1. Voir La revue blanche des 1er  et 15 octobre, 1er  et 15 novembre 1901.