Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

À la dure [1]
CHAPITRE V
Nouvelles connaissances. — Le cayote.

Une autre nuit de tranquillité et de tumulte alternatifs. Mais le matin arriva, petit à petit. Ce fut un nouveau réveil heureux au milieu des fraîches brises, des vastes étendues de verdure unie, des clairs rayons de soleil, d’une solitude impressionnante totalement dénuée, à la vue, d’êtres humains ou d’habitations humaines ; l’atmosphère était douée d’un tel pouvoir rapprochant que des arbres paraissant à portée de la main étaient éloignés de plus de cinq kilomètres. Nous reprîmes notre costume de déshabillé, nous grimpâmes par-dessus la voiture en marche, nous laissâmes pendre nos jambes le long de ses côtés, et nous criions de temps à autre après nos mulets frénétiques, simplement pour les voir rejeter leurs oreilles en arrière et décamper plus vite ; nous avions attaché nos chapeaux sur nos têtes pour empêcher le vent d’emporter nos cheveux et nous jetions un regard circulaire autour de nous, sur le vaste tapis du monde, pour y chercher des objets nouveaux et étranges. Aujourd’hui encore, je vibre de la tête aux pieds à penser à l’activité, au plaisir et à la sensation sauvage d’indépendance qui me faisaient danser le sang dans les veines pendant ces belles matinées de voyage.

Environ une heure après déjeuner, nous vîmes les premiers villages de chiens de prairie, la première antilope, et le premier loup. Si je me rappelle bien, ce dernier était le véritable cayote du fond du désert. Et si c’était bien lui, ce n’était ni une jolie bête ni un animal respectable, car j’ai lié par la suite une connaissance approfondie avec sa race et je peux en parler en toute assurance. Le cayote est un squelette long et mince, de triste mine, sur lequel on a tendu une peau de loup grise dont la queue, passablement fournie, traîne perpétuellement à terre d’un air désespéré d’abandon et de misère, l’œil fuyant et méchant, la figure longue et aiguë, aux lèvres légèrement retroussées

  1. Voir La revue blanche du 1er  octobre 1901.