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LA NATURE.

LE PHYLLOXÉRA
ET LA NOUVELLE MALADIE DE LA VIGNE.


(Suite. — Voy. pages 18, 43, 57.)

Il y a à peine quatre ans que le Phylloxéra vastatrix a attiré l’attention par les ravages qu’il exerce sur nos vignobles, et déjà une multitude de mémoires et de documents de toute espèce, composant la matière de plusieurs gros volumes, ont paru sur ce parasite et sur la maladie à laquelle se rattache sa présence. Les innombrables travaux accumulés par toutes les énergies coalisées de nos savants et de nos viticulteurs, les études poursuivies avec une ardeur digne de rivaliser avec celle du fléau, ont réussi à conduire aujourd’hui la question à maturité. L’épouvante causée par la rapide extension du fléau et surtout par l’impuissance où l’on était de le combattre s’apaise peu à peu, et les tristes perspectives commencent à faire place à l’espoir et à la confiance.

Le mystère qui couvrait l’origine et la nature du mal est aujourd’hui éclairci. Les patientes recherches de MM. Planchon et Lichteinstein, Signoret, Laliman, Bazille, Faucon, Max-Cornu, etc., nous ont fourni des armes sûres contre le phylloxéra, auteur reconnu de la destruction de nos vignobles, en nous faisant connaître les mœurs et l’évolution de ce redoutable parasite, et par suite les conditions où les moyens d’attaque dirigés contre lui présenteront le plus de chances de succès. Plusieurs méthodes rationnelles, les unes préventives, les autres curatives, ont été proposées, et toutes celles qui ont pu être appliquées dans de bonnes conditions ont donné les résultats les plus encourageants : aussi l’heure des prédictions sinistres est-elle passée aujourd’hui, ainsi que celle des hypothèses gratuites et des stériles discussions. La mise en œuvre des moyens d’action fondés sur les observations scientifiques, substitués aux tâtonnements et aux traitements empiriques ou de pure fantaisie, a réussi à enrayer les progrès de l’épidémie dans plusieurs localités, et même parfois à opérer une guérison radicale.

C’est sous ces heureux auspices que nous nous proposons de présenter ici un résumé : des faits positifs acquis jusqu’à ce jour sur la nouvelle maladie de la vigne et sur le terrible dévastateur à jamais célèbre sous le nom de phylloxéra.

I

Actuellement, l’existence du fléau a été constatée : 1o dans le sud-est de la France et principalement dans les départements du Vaucluse, des Bouches-du-Rhône, du Gard, de la Drôme, de l’Ardèche et de l’Hérault, Son apparition a été signalée dans ces derniers temps sur plusieurs points des départements du Var et des Basses-Alpes ; 2o dans le Bordelais ; 3o dans l’Amérique septentrionale et principalement dans les États de l’est du Mississipi, qui paraissent devoir être considérés comme la contrée originaire du phylloxéra ; 4o en Angleterre et en Irlande dans les serres à raisins ; 5o dans le Portugal, où certains vignobles de la région du Douro et des environs de Lisbonne ont été maltraités au point de ne plus fournir que le vingt-cinquième ou même parfois le soixante-dixième de la récolte ordinaire ; 6o en Autriche à Klosternenbourg près de Vienne. C’est autour d’un plant américain importé dans la station œno-chimique de cette localité que le mal a fait sa première apparition en Autriche. Le point de départ de l’invasion dans le Bordelais et dans le Portugal s’observe également dans les vignobles de la Tourette, près de Bordeaux, et de Gouvinhas, près de Lisbonne, où des cépages américains ont été préalablement introduits.

C’est dans le sud-est de la France que les ravages sévissent avec le plus de violence. Les premiers symptômes de la maladie qui désole aujourd’hui la vallée du Bas-Rhône furent observés vers 1864, mais ce n’est qu’en 1868 qu’elle prit des proportions inquiétantes, pour devenir bientôt un véritable fléau dont l’activité se mesurera aisément par quelques faits de statistique.

Dans le département du Gard, toute la plantation du plateau de Pujant, aux environs de Roquemaure, un des premiers points attaqués, a complètement disparu.

Dans les Bouches-du-Rhône, la commune de Graveson dont la récolte moyenne était, pour les années 1865, 1866 et 1867, évaluée à 10 000 hectolitres, n’en fournit plus que 5 500 en 1868 et seulement 2 200 en 1869. La commune d’Eyragues donna successivement, pour les mêmes années, 15 000, 5 000 et 3 500 hectolitres. La grande plaine de la Crau a, de son côté, perdu, depuis le commencement de l’invasion, plus de 5 000 hectares.

Dans le Vaucluse, le plus éprouvé de tous les départements du Sud-Est, en 1871 il ne restait déjà plus que 5 000 hectares de vignes saines sur 31 028, et au mois de mars 1872, la contenance des vignobles préservés était réduite à 2 500 hectares. Beaucoup de viticulteurs de cette malheureuse région se sont vus dans la cruelle nécessité d’arracher la totalité de leurs vignes, et plusieurs plants précieux sont aujourd’hui complètement anéantis ; tel est le célèbre cru du Château-Neuf-du-Pape, dont la production moyenne était de 3 000 hectolitres, et qui n’existe plus aujourd’hui que de nom.

Dans l’Hérault, depuis la constatation du premier centre d’attaque, faite à Lunel au commencement du mois de juillet 1870, le mal s’est propagé sur quarante communes des environs de Montpellier ; vingt-cinq seulement de celles-ci étaient atteintes en 1871.

La destruction a marché d’un pas moins rapide dans le Bordelais que dans le Bas-Rhône. Toutefois, du domaine de la Tourette (environs de Bordeaux), qui eut à subir les premières attaques, la contagion a envahi quatorze ou quinze communes de la rive droite de la Garonne, et tel propriétaire qui faisait d’ordinaire cent vingt tonneaux, n’en récolte plus aujourd’hui que trois ou quatre.