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LA NATURE.

l’enveloppe tout entier, et cesse de se produire autour de la nacelle. Un peu plus tard enfin, à 1 heure 35 minutes, nous nous rapprochons de la couche des nuages, et l’ombre est ceinte cette fois de trois auréoles aux sept couleurs elliptiques et concentriques, comme le représente la gravure au trait qui accompagne notre texte.

Rien ne saurait donner une idée de la pureté de ces ombres, qui se découpent dans une brume opaline, de la délicatesse de tons de l’arc-en-ciel qui les entoure. Le silence complet qui règne dans les régions de l’air, où se manifestent ces jeux de lumière, le calme absolu où l’on se trouve, au-dessus de nuages que le soleil transforme en flots de lumière, ajoutent à la beauté de ces spectacles, et remplissent l’âme d’une indicible admiration. Nul ne saurait rester indifférent à la vue de ces tableaux enchanteurs que la nature réserve à ceux qui savent la comprendre.

Ombre aérostatique entourée de trois auréoles.

On ne sait pas encore exactement à quelle cause attribuer la production d’un contour lumineux autour de l’ombre projetée sur des vapeurs ou des brouillards. Quelques observateurs ont pensé que ces phénomènes étaient dus à la diffraction de la lumière, mais il serait possible qu’ils aient une origine commune avec l’arc-en-ciel. Ce qui tendrait à accréditer cette opinion, c’est la nécessité de la présence de la vapeur d’eau, pour que le phénomène se manifeste : s’il était le résultat de la diffraction, il devrait apparaître aussi bien sur un mur blanc, sur un écran quelconque que sur un nuage. Il ne serait pas impossible du reste d’étudier ces faits curieux, au moyen d’expériences exécutées à terre ; en disposant convenablement des écrans de soie, ou des écrans de mousseline imbibés d’eau, qui simuleraient un nuage, on pourrait espérer voir le phénomène se manifester ainsi par synthèse. Tout récemment, M. Leterne a encore signalé un excellent moyen de l’étudier, sans qu’il soit nécessaire de s’élever au-dessus des nuées dans la nacelle d’un ballon. « Au printemps, dit cet observateur, le matin, lorsque le soleil, arrivé à 15 ou 20 degrés au-dessus de l’horizon, a déjà un peu réchauffé l’atmosphère, et qu’il s’est produit une légère condensation de vapeurs sur le tapis de gazon qui borde les routes, le voyageur peut voir sa silhouette, projetée sur ce tapis de verdure humide, entourée d’un contour lumineux dans lequel on reconnaît les couleurs du spectre, mais où le rouge domine[1]. » On voit que cette observation est facile à provoquer ; à défaut de rosée, ne pourrait-on pas mettre à profit les jets d’eau qui forment une pluie de gouttelettes liquides, où, comme on le sait, l’arc-en-ciel apparaît fréquemment. Il n’est pas douteux que de semblables études complétées par des expériences ingénieuses sont susceptibles de conduire à quelque résultat intéressant. Comme l’a dit Montaigne, « il n’est désir plus naturel que le désir de cognoissance … ; quand la raison nous fault, nous y employons l’expérience. » On ne saurait mieux faire que de suivre les conseils de l’immortel auteur des Essais.

Gaston Tissandier.

LE PHYLLOXÉRA
ET LA NOUVELLE MALADIE DE LA VIGNE.

(Suite et fin. — Voy. page 4, 18, 43.)
VI

3o Submersion. — Il est évident qu’une submersion suffisamment prolongée des vignes doit amener l’asphyxie des parasites qui habitent leurs racines. M. Faucon, viticulteur à Graveson (au nord de Tarascon), séduit par la rationalité de ce moyen curatif, l’appliqua à un vignoble de 51 hectares fortement attaqué par le phylloxéra, et en obtint des résultats tellement encourageants qu’il n’y a pas témérité à avancer que si toutes les vignes de France aujourd’hui atteintes pouvaient être submergées, le règne du phylloxéra toucherait bientôt à sa fin. La récolte qui était de 625 hectolitres en 1867 dans le vignoble de M. Faucon, descendit à 40 hectolitres en 1868 et à 35 en 1869, mais remonta après la première submersion à 120 hectolitres en 1870, à 450 après la deuxième en 1871 et à 900 après la troisième en 1872. Aujourd’hui, le vignoble de Graveson, désormais célèbre sous le nom de Mas de Fabre, offre une végétation splendide sur laquelle la vue aime à se reposer au milieu de la stérilité environnante.

Cette résurrection progressive et presque miraculeuse devra vraisemblablement s’observer dans toutes les localités soumises au même traitement. La seule difficulté gît dans la rareté apparente des vignobles

  1. Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. LXXVI, 1873, p. 786.