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le kalevala

Les vagues soulevées se ruèrent contre le navire, et elles emportèrent avec elles le kantele formé des os du brochet, des nageoires du poisson, pour la jouissance du peuple de Vellamo[1], pour la joie éternelle d’Ahtola. Lorsqu’Ahto, lorsque les enfants d’Ahto aperçurent le mélodieux instrument sur la cime des flots, ils s’en emparèrent et le cachèrent dans leur demeure.

Alors, le vieux Wäinämöinen sentit les larmes lui monter aux yeux, et il prit la parole, et il dit : « Ainsi donc, mon ouvrage, mon instrument bien-aimé a disparu, ma joie éternelle s’est perdue au milieu des flots ; je ne retrouverai plus, durant toute cette vie, le kantele formé des dents du brochet, des os du grand poisson. »

Le forgeron Ilmarinen fut pris, lui aussi, d’un chagrin amer, et il dit : « Malheur à mes jours, infortuné que je suis ! Malheur à moi qui suis venu sur cette vaste mer, sur ces golfes immenses, qui ai mis le pied sur cet arbre qui roule, sur cette branche qui tremble ! Mes cheveux, hélas ! ont appris à connaître les vents, ils ont fait l’expérience des horribles tempêtes ; ma barbe a traversé de mauvais jours, au milieu de ces ondes ; oui, rarement mes cheveux et ma barbe ont subi une tempête aussi violente, des brisements aussi orageux, des vagues hérissées de tant d’écume. Le vent est maintenant mon seul refuge, le flot mon seul protecteur[2]. »

Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen médita profondément sur sa cruelle aventure : « Il ne convient point de pleurer dans un bateau, de se lamenter dans un navire ; les pleurs ne sont d’aucun secours dans la détresse, les lamentations ne sauvent point des mauvais jours. »


    « Kanervat kukattomaksi
    « Heinat helpehettümaksi ;
    « Nosti mustia muria
    « Paulle selvien vesien. »

  1. Femme d’Ahto. Voir page 44, note 2 et 3.
  2. C’est-à-dire que le héros n’avait plus d’autre ressource pour se sauver que d’être poussé au rivahe par les vents et par les flots. Voir page 302, note 1.