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trente-cinquième runo

ô mon fils, que t’est-il arrivé d’extraordinaire ? Tu parles comme un hôte de Tuoni[1], tu as l’air de sortir de Manala[2].

Kullervo, fils de Kalervo, répondit : « Oh ! oui, il m’est arrivé des choses extraordinaires, un destin cruel s’est levé sur moi ; j’ai violé ma propre sœur, j’ai déshonoré l’enfant de ma mère.

« Après avoir payé l’impôt que je devais, j’étais parti pour un long voyage. Et voilà que j’ai rencontré sur ma route une jeune fille. J’ai dormi avec elle, je l’ai violée. Or, elle était ma propre sœur, elle était l’enfant de ma propre mère.

« Mais, déjà elle a rendu le dernier soupir, elle est allée au-devant de la pâle mort, au milieu des vagues sauvages de la cataracte, sous son tourbillon écumeux. Quant à moi, j’ignore encore, je ne sais pas, je ne soupçonne pas, où je dois chercher la mort, où je dois trouver la fin de ma misérable vie : si c’est dans la gueule du loup qui hurle, ou dans la gueule de l’ours qui rugit, ou dans le ventre immense de la baleine, ou sous les dents aiguës du brochet. »

La mère de Kullervo dit : « Non, mon fils, tu ne dois point te jeter dans la gueule du loup qui hurle, ni dans la gueule de l’ours qui rugit, ni dans le ventre immense de la baleine, ni sous les dents aiguës du brochet. Tu connais le grand promontoire de Suomi[3], les vastes et désertes frontières de Savo[4] : là un homme peut cacher son crime, là il peut rougir en secret de ses actes honteux. Gagne donc cette retraite, et demeures-y pendant cinq ans, pendant six ans, pendant neuf ans, jusqu’à ce que le temps t’ait apporté ses adoucissements, jusqu’à ce qu’il ait allégé ton douloureux fardeau. »

  1. Voir page 100, note 4.
  2. Région souterraine, séjour des morts.
  3. Voir page 155, note 2.
  4. Savolax, province de l’ancienne Finlande.