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le kalevala

Alors, Wipunen, l’homme puissant dans les chants, le fort superbe des anciens jours, Wipunen, dont la bouche est pleine de sagesse, dont la poitrine est l’habitacle d’une force infinie, ouvrit le coffre plein de paroles, le coffre plein de chants, afin de chanter les paroles efficaces, de donner l’essor aux meilleurs chants, à ces paroles profondes de l’origine, à ces chants magiques de la création des temps, que tous les enfants ne sauraient chanter, que chaque héros ne saurait comprendre, dans cette triste vie, dans ce monde périssable.

Il chanta les paroles de l’origine, les runot de la sagesse. Il dit comment, avec la permission du Créateur, comment, sur l’ordre de Jumala, l’air s’engendra de lui-même, l’eau se sépara de l’air, la terre ferme surgit du sein de l’eau et se couvrit de plantes.

Il dit la formation de la lune, la création du soleil, et comment se dressèrent les colonnes de l’air, et comment le ciel fut semé d’étoiles.

Il chanta, le puissant runoia, il chanta et déploya sa science. On n’a jamais vu, on n’a jamais entendu, dans le cours de cette vie, un meilleur runoia, un homme d’une science plus grande. Sa bouche lançait des paroles, sa langue poussait des runot magiques, comme un joyeux poulain lance ses jambes, comme un coursier pousse ses pieds rapides.

Il chanta, durant les jours, sans s’arrêter, durant une longue succession de nuits. Le soleil s’arrêta pour l’écouter, la lune d’or s’arrêta pour l’écouter ; les vagues des détroits, les flots des golfes, les ondes des fleuves cessèrent leurs murmures orageux ; la cataracte du Rutja[1] fit silence ; le Wuoksen[2] suspendit sa course tourbillonnante ; le Jordan[3] enchaîna ses flots.

    immortelles ; nul n’avait le droit de les ensevelir avec lui dans la tombe.

  1. Voir page 74, note 1.
  2. Voir page 23, note 5.
  3. Fleuve dont la situation est incertaine. Serait-ce le Jourdain, placé là par un souvenir biblique ?