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dix-septième runo

Wipunen, le puissant runoia, dit : « Quel homme es-tu donc entre les hommes, quel héros entre les héros ? J’ai déjà englouti cent hommes, j’ai tué mille héros, mais jamais je n’en ai mangé de semblable à toi. Les charbons montent jusqu’à ma bouche, les tisons brûlent ma langue, les scories du fer déchirent ma gorge.

« Retire-toi, prodige d’épouvante, fuis au loin, fléau de la terre, fuis avant que je n’aille chercher ta mère, que je ne me plaigne à ta vieille nourrice ! Si je raconte ce qui se passe à ta mère, si je révèle tout à ta vieille nourrice, elle sera saisie d’une douleur cruelle, en voyant son fils se livrer à une œuvre perverse, son enfant se couvrir d’infamie[1].

« J’ignore encore, je ne soupçonne pas d’où tu es sorti, ô Hiisi[2], d’où tu es venu, ô misérable, pour mordre, pour dévorer, pour manger, pour ronger.

« Es-tu une torture créée par Dieu ? Une maladie envoyée par Jumala ? Ou bien, ouvrage des hommes, es-tu aux ordres d’un autre, et n’agis-tu ainsi que pour gagner de l’argent ?

« Si tu es une torture créée par Dieu, une maladie envoyée par Jumala, alors, je mettrai ma confiance dans mon créateur, mon espoir dans Jumala. Le Seigneur ne délaisse point l’être bon, il ne détruit point ce qui est beau.

« Mais, ouvrage des hommes, si tu es aux ordres d’un autre, si d’autres t’ont poussé au mal que tu commets, je saurai bien quelle est ta famille, et dans quel pays tu es né.

« Jadis, tous les malheurs tiraient leur origine, tous les fléaux venaient : du voisinage des tietäjät[3], des pâturages des enchanteurs, des demeures des hommes pervers, des champs des sorciers, des landes de Kalma, des

  1. Chez les Finnois, le respect des parents, et en particulier la crainte de la mère, sont portés au plus haut point.
  2. Voir page 144, note 2.
  3. Voir page 26, note 1.