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le kalevala

Wipunen, le puissant runoia[1], s’éveilla aussitôt de son sommeil. Il sentit la dure atteinte du bâton, et une douleur aiguë le déchira. Il mordit le bâton, mais sa dent n’en toucha que la surface ; elle n’eut point de prise sur l’acier, sur le cœur du fer.

Le vieux Wäinämöinen s’avança tout près du géant ; et, soudain, des deux pieds, il glissa dans sa bouche.

Alors, Antero Wipunen l’ouvrit plus largement ; et il engloutit, entre ses mâchoires, le héros avec son glaive ; et il dit : « J’ai déjà mangé bien des choses, j’ai dévoré des brebis et des chèvres, des bœufs et de grands sangliers, mais, jamais je n’ai goûté d’un pareil morceau. »

Le vieux Wäinämöinen dit : « Voici donc mon jour fatal arrivé, maintenant que je suis tombé dans ce coffre de Hiisi[2], dans cette caverne de Kalma ! »

Et il se mit à penser, à réfléchir profondément ; il se demanda comment il pourrait exister, comment il pourrait vivre.

Wäinämöinen portait suspendu à la ceinture son couteau au manche de bois madré. Il s’en servit habilement pour se construire un bateau, pour se charpenter une barque. Et il lança le bateau en avant, voguant d’un intestin à l’autre, visitant chaque recoin, chaque repaire du ventre.

Wipunen, le vieux géant, le puissant runoia, ne se laissa point troubler par une pareille épreuve. Alors, Wäinämöinen se transforma en batteur de fer. De sa chemise il se fit une forge, des bras de sa chemise et de sa pelisse un soufflet, de ses bas un tuyau pour le soufflet, de son genou une enclume, de son coude un marteau. Et il commença à frapper à coups redoublés ; il fit résonner son enclume pendant le jour, pendant la nuit, sans trêve ni repos, dans le ventre du prodigieux géant, dans le sein de l’homme fort.

  1. On sait que le mot Runoia, compositeur, chanteur de runot, implique la puissance magique.
  2. Hiisi veut dire ici : être maudit, agent du mal.